À 26 et 30 ans, nous avons fait nos premiers pas au parlement il y a quelques mois à peine, bien conscients d’avoir été élus dans un climat de profonde déconnexion entre la population et le monde politique. Au Parlement fédéral, s’il était représenté, l’abstentionnisme serait ainsi le premier parti. Moins d’un an plus tard, alors que la défiance envers les institutions n’a jamais été aussi forte, le monde se trouve aujourd’hui confronté à l’une des plus graves crises qu’il ait eue à affronter depuis la seconde guerre mondiale. Pour y faire face, des mesures sans précédent ont été prises en quelques semaines, à coup de pouvoirs spéciaux accordés aux gouvernements et d’hémicycles vidés de leurs représentants confinés chez eux ou dans leurs bureaux. Comment une démocratie résiste-t-elle à un tel choc ? Face à la gravité du coronavirus, la démocratie devrait-elle aussi être confinée ? Comme jeunes députés, nous tenons à répondre avec force par la négative : au contraire, la crise représente un momentum à saisir pour, dès demain, réanimer la démocratie !
Il ne faut cependant nullement nier le danger qui la menace. En France, le récent Baromètre de la confiance politique du Cevipof dévoilait, juste avant la crise, que 41 % des sondés partageaient le constat selon lequel moins de démocratie serait préférable, pour plus d’efficacité. Aujourd’hui, à grand renfort de propagande, certains commentateurs louent l’efficacité du « modèle chinois » pour imposer des mesures plus « drastiques » contre la pandémie. Car il s’agirait de sauver des vies et non de se perdre en joutes oratoires.
Une petite piqûre de rappel toutefois : heureusement que nous ne sommes pas en Chine ! Le Parti communiste chinois a d’abord enfermé le premier médecin lanceur d’alerte de Wuhan, Li Wenliang, puis dissimulé durant des semaines la contagion, étouffé tout débat public en censurant les médias et internet, avant de surveiller les faits et gestes – et même la température – de chaque habitant, et, enfin, de répandre dans le monde des masques non conformes. Aujourd’hui, la levée de la quarantaine à Wuhan s’accompagne de la livraison de dizaines de milliers d’urnes funéraires, ce qui remet fortement en question les chiffres de contaminés et de morts avancés par le régime communiste.
Et la Chine ne fait pas exception parmi les régimes autoritaires. Les mêmes doutes peuvent être légitimement soulevés à propos de la Russie, qui se vantait jusqu’il y a peu d’être l’un des seuls pays au monde à ne pas être touché par l’épidémie, tout en faisant construire en urgence de nouveaux hôpitaux. Une absence de transparence criminelle dont l’objectif est aussi géopolitique, puisque le Kremlin profite de la crise pour se replacer dans le concert des nations en offrant désormais son aide humanitaire aux Etats-Unis, où Donald Trump a également tardé à réagir, entraînant avec lui l’ensemble du pays dans une situation dramatique.
Le vrai problème est là : l’hyper-sécurisation, l’absence de transparence et la dépendance à un seul homme ou un seul parti autoritaire, loin d’être la solution à une telle crise, représentent au contraire un danger accru pour son propre peuple et pour le reste du monde.
Or, seule une démocratie plus participative et transparente permet d’éviter le chaos de la loi du plus fort. C’est justement dans l’urgence et au moment où les plus fragiles risquent le plus d’être impactés par l’épidémie que le contrôle du parlement, la vitalité des contre-pouvoirs, la garantie de l’état de droit par la justice, l’indépendance des médias, doivent s’ériger en remparts contre les abus de pouvoir. Certes, des adaptations sont nécessaires pour faire face à l’ampleur et à l’urgence de la crise, ce qui passe aujourd’hui par des pouvoirs renforcés octroyés à l’exécutif pour une durée limitée. Mais il serait dangereux de renoncer, sous prétexte d’efficacité, à toute forme de contrôle des actions menées dans ce cadre et ce, alors que les libertés individuelles sont restreintes d’une façon encore jamais observée en temps de paix.
À cet égard, les assemblées se sont rapidement adaptées pour tenter de maintenir un véritable contrôle démocratique, malgré les pouvoirs spéciaux et les difficultés à se réunir physiquement en raison du confinement. Les règlements de plusieurs parlements ont ainsi été modifiés pour permettre l’organisation de séances de commissions par vidéoconférence, diffusées en direct sur internet, voire pour autoriser le vote à distance dans certaines situations.
Toutefois, si ces avancées technologiques permettent la poursuite d’une forme de contrôle parlementaire de l’action gouvernementale, elles ne suffisent évidemment pas à réoxygéner notre démocratie. Il faut aller plus loin et tirer les leçons de la crise que nous vivons pour enfin reconnecter la population et le monde politique.
Alors qu’on lui demande des efforts jamais consentis jusqu’à présent en temps de paix, le citoyen doit plus que jamais avoir son mot à dire dans l’élaboration du nouveau monde que nous bâtirons demain. Plus personne en effet ne pourra décemment affirmer que seuls les élus, voire les leaders populistes, ont le monopole de la légitimité. Car aujourd’hui, une part importante de la solution vient directement des initiatives de solidarité mises en place par les gens sur le plan local, souvent de manière spontanée et autonome. Quand les service sociaux sont débordés, ce sont les voisins du coin de la rue qui prennent des nouvelles des personnes plus fragiles et se proposent d’aller faire leurs courses… Alors que la pénurie de masques et de protections pour le personnel soignant menace leur vie, les couturières se mobilisent pour leur venir en aide. D’ailleurs, ces élans de solidarité citoyenne reposent largement sur les femmes, d’habitude invisibilisées, mais qui sont en première ligne face à la crise.
En tant que jeunes élus, nous n’avons jamais considéré notre élection comme un chèque en blanc, mais plutôt comme une occasion d’ouvrir grandes les portes de nos parlements. Depuis dix mois, nous nous efforçons de casser cette impression de vase clos qui fait tant défaut à l’image de la politique, en descendant dans la rue, en continuant le porte-à-porte, en invitant le plus de monde possible à rejoindre nos débats… et à contester nos idées. Car nous ne concevons pas la démocratie en version light, comme un système purement représentatif limité à des élections tous les 5 ans. Notre démocratie, nous la voulons « contributive » : les citoyens doivent pouvoir s’emparer de leur destin et contribuer directement au bien commun. Et c’est précisément ce qu’ils font en ce moment !
Une opportunité s’ouvre aujourd’hui devant nous : et si nous tirions les leçons de cette crise pour déconfiner la démocratie ? Et si, dans les prochains mois, nous faisions preuve de la même audace et des mêmes innovations technologiques que celles auxquelles nous assistons aujourd’hui pour sauver la démocratie parlementaire, pour faire progresser la participation citoyenne dans et en dehors des assemblées ? Et si la transparence devenait la norme et permettait d’associer beaucoup plus systématiquement la population aux prises de décisions ? Et si nous transformions le Sénat en assemblée citoyenne avec pour mission de penser l’après ? Le chantier qui s’ouvre devant nous est enthousiasmant !
Au-delà d’une vision étriquée de la démocratie représentative, nous pouvons collectivement réinventer de nouvelles manières de fonctionner qui seraient plus démocratiques, plus directes, plus citoyennes, plus mobilisatrices des compétences et inspirations de chacune et chacun. Car ce que la crise actuelle met en lumière, c’est justement la force de l’intelligence collective, l’interdépendance de tout un chacun, la coopération entre toutes et tous, et l’entraide. Autant de contre-pouvoirs extrêmement puissants face à l’aveuglement du marché débridé comme des régimes autoritaires qui nous ont non seulement menés à cette crise, mais ne permettent pas d’en sortir.
Aujourd’hui plus que jamais, nous en sommes convaincus : il est urgent de déconfiner la démocratie !