Au mois de mars 2021, j’interrogeais la Ministre de l’Enseignement supérieur à propos de l’influence des firmes pharmaceutiques dans les facultés de médecine en Belgique. Aujourd’hui, une enquête journalistique menée par quatre médias belges analyse près de 143.000 transferts financiers de l’industrie pharmaceutique vers différents acteurs des soins de santé, dont les universités.
Si l’on en croit le registre betransparent qui répertorie les versements déclarés, le secteur pharmaceutique énonce avoir dépensé, entre 2017 et 2020, 70 millions d’euros dans des honoraires de consultance, des frais de voyage et de logement, ou pour des donations aux universités et leurs hôpitaux. Or, ce registre compte de nombreuses failles, dont l’absence totale de contrôle, et accumule les erreurs (déclarations incohérentes, problèmes d’encodage à répétition), ce qui sème le doute sur la fiabilité des données déclarées par les firmes pharmaceutiques.
En réalité, outre ces 70 millions déclarés, il y a la fameuse enveloppe « recherche et développement » qui, elle, s’élève à 520 millions d’euros et va aussi vers les universités et leurs hôpitaux, afin surtout de financer des essais clinique (domaine dans lequel la Belgique excelle), mais il est impossible de savoir exactement qui touche combien. De ce que l’on sait, avec 23.3 millions d’euros, c’est la KU Leuven qui reçoit le plus de ce qui est déclaré sur bestransparent. Les universités francophones (et leurs hôpitaux) les plus financées sont bien derrière : 7.3 millions pour l’UCLouvain, 5.4 millions pour l’ULiège et 3.9 millions pour l’ULB. Cette situation révèle plusieurs choses : ces financements viennent clairement compenser des subsides publiques insuffisants ; et la KU Leuven adopte une approche différenciée pour son financement, poussant plus loin le mécénat et la participation des particuliers et des entreprises.
Aussi, pour en revenir à ma question de l’année dernière, il semblerait que les universités ne sensibilisent toujours que de manière superficielle les futurs médecins au risque de conflits d’intérêts.
D’où ces nouvelles questions adressées à la Ministre :
- Quel regard portez-vous quant à la transparence des flux financiers entre les universités francophones, leurs hôpitaux universitaires et les entreprises pharmaceutiques ? Avez-vous pris contact avec les acteurs afin d’obtenir plus de clarté sur ce sujet, voire de les encourager à davantage de rigueur ?
- Êtes-vous au courant d’une forme d’influence des firmes pharmaceutiques dans les facultés de santé belges ? Quelles mesures sont prises pour prévenir des éventuels conflits d’intérêts ?
- Quelles initiatives sont prises pour rendre les universités, les hôpitaux universitaires et leurs nombreux collaborateurs plus transparents sur cette question ?
Réponse de la Ministre :
“Monsieur le Député, comme vous, j’ai lu avec beaucoup d’attention les articles de presse consacrés aux résultats de l’analyse du site www.betransparent.bepar un groupe de journalistes d’investigation. Cette analyse porte sur les relations financières entre les firmes pharmaceutiques et les médecins. Nous avions déjà évoqué cette problématique lors d’une question parlementaire le 11 mars 2021. Je vous avais répondu que les relations entre les firmes pharmaceutiques et les médecins, en particulier les cliniciens des hôpitaux académiques, étaient naturelles, indispensables, mais éthiquement sensibles, voire éthiquement vulnérables.
Ces relations sont naturelles parce que l’industrie pharmaceutique et la médecine académique partagent les mêmes objectifs: comprendre la maladie et découvrir de nouvelles modalités thérapeutiques. Elles sont indispensables parce que l’industrie pharmaceutique est la seule capable de disposer des moyens financiers importants qu’exige une recherche clinique. La crise sanitaire que nous venons de vivre l’a illustré avec le développement accéléré des vaccins. La médecine académique est de son côté la seule à apporter l’expertise scientifique et le nombre de patients nécessaires à cette recherche. Enfin, elles sont éthiquement vulnérables ou sensibles parce qu’elles génèrent potentiellement un conflit d’intérêts susceptible de compromettre l’intégrité scientifique et l’objectivité dans le choix thérapeutique du clinicien.
Le problème est connu de longue date et la réponse trouvée à ce conflit d’intérêts potentiel est la transparence. C’est la raison pour laquelle les firmes pharmaceutiques sont tenues en Belgique de déclarer nommément les financements accordés aux médecins. Cette information doit être accessible à tous; c’est notamment la raison d’être du site www.betransparent.be. C’est ainsi que nous apprenons que 875,5millions d’euros ont été distribués entre 2017 et 2020. La majeure partie, c’est-à-dire 520,1millions d’euros, a été consacrée à la recherche clinique, ce qui est heureux. Les médecins ne sont pas les seuls bénéficiaires puisque 70millions d’euros ont été destinés à des associations de patients basées en Belgique.
Certes, comme vous le soulignez, l’étude en question met en évidence une lisibilité médiocre du site qui rend ardue sa consultation, avec des données incomplètes, des erreurs d’encodage, un défaut de contrôle, etc. Je suis toutefois moins pessimiste que vous. Il est évident que des améliorations significatives sont à réaliser, mais la transparence existe, sinon comment «LeSoir» aurait-il pu consacrer 13 pleines pages au sujet, chiffres à l’appui et bénéficiaires cités ? Comment les journalistes auraient-ils pu pointer du doigt certaines relations financières suspectes de générer un conflit d’intérêts ? Dans les domaines qui me concernent, je souligne qu’il existe non seulement des informations sur le risque de conflit d’intérêts, la nécessité d’assurer la transparence, la manière de le prévenir, mais aussi sur des procédures d’enquêtes et de sanctions.
Je vous renvoie à cet égard aux directives relatives à l’intégrité de la recherche scientifique du Fonds de la recherche scientifique (FNRS) et à la création récente du Conseil supérieur d’intégrité scientifique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, à laquelle j’ai participé et que j’ai inauguré le 22octobre2021. Il s’agit d’une initiative de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, de l’Académie royale de médecine de Belgique (ARMB) et du FNRS.
Je rappelle que nos facultés de médecine et nos hôpitaux académiques disposent de comités d’éthique qui interdisent les contrats avec les firmes pharmaceutiques dont des dispositions seraient contraires à l’intégrité scientifique. Dans nos hôpitaux universitaires, la non-déclaration d’un conflit d’intérêts potentiel est considérée comme une faute professionnelle passible de sanctions. Je suis néanmoins d’accord avec vous sur la perfectibilité du système. C’est pourquoi je solliciterai le Conseil des hôpitaux universitaires pour qu’il élabore des directives pour pré-venir le conflit d’intérêt, voire des procédures pour sanctionner des manquements à ces directives.”
La Ministre a judicieusement souligné l’importance et le sérieux de cette étude, mais aussi la nécessité des relations avec les firmes pharmaceutiques. Il semble donc essentiel de garantir la transparence la plus totale à ce sujet.
D’après l’étude, il reste pourtant du travail. Ces éléments de réponse éclaircissent ma question quelque peu pessimiste. J’espère que nous continuerons à améliorer au plus vite cette situation. Une série de leviers sont disponibles.
Je fais confiance à la Ministre pour poursuivre le travail, notamment afin d’éviter toute influence des firmes pharmaceutiques sur nos hôpitaux et nos facultés. Il me paraît fondamental de travailler en profondeur sur ce dossier des conflits d’intérêts.