Il ne faut pas forcément claironner « Cocorico »… Mais il se fait que les politiques belges sont réputés pour être les champions européens des dépenses publicitaires sur les réseaux sociaux. Bien sûr, tous les partis et tous les politiques ne pèsent pas de la même façon dans cette réputation… Certains sont beaucoup plus dépensiers que d’autres, et de loin.
Cela engendre un nombre d’excès important, voire un risque démocratique réel vu les innombrables fakenews qui pullulent sans le moindre filtre sur les réseaux, devenus de véritables outils de propagande à large échelle.
Des règles pour tendre vers plus de contrôle et d’égalité entre les partis sont donc indispensables. C’est le cas tout au long de l’année – les écologistes ont d’ailleurs déposé une proposition de loi à la Chambre pour réguler ces dépenses en dehors des campagnes -, mais c’est encore plus le cas en période électorale.
Dans le cadre de l’avant-projet de décret relatif aux nouvelles règles d’organisation des élections communales et provinciales, dont les prochaines auront lieu en octobre 2024, vous avez décidé de limiter les dépenses des partis pour leur publicité sur les réseaux sociaux à 50 % des dépenses éligibles.
Cela me paraît une mesure très intéressante. C’est d’ailleurs une des solutions que nous avions évoquées dans le cadre des réunions du groupe de travail parlementaire consacré aux dépenses électorales qui s’est réuni l’an dernier dans un climat très constructif.
- Dès lors, Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui justifie le choix de cette mesure et de ce seuil ? Quelles balises entoureront ces nouvelles règles ? Et de façon générale, pouvez-vous faire le point sur les avancées en matière de dépenses électorales contenues dans cet avant-projet de décret ?
Vous avez très gentiment transmis l’avant-projet de décret adopté en première lecture aux membres du groupe de travail parlementaire. Cela nous permet donc d’avoir une bonne idée des réformes qu’il contient.
- La réforme en cours vise également l’organe de recours en matière de contrôle des élections, via la création d’un conseil des élections locales, comprenant les gouverneurs et des experts. Pouvez-vous nous en dire plus ?
- Qu’en est-il du contrôle des dépenses électorales ? Pourquoi ne pas avoir appliqué la même règle ?
- Enfin, pouvez-vous expliciter les mesures prises pour renforcer la sécurité et la confiance entourant le processus électoral dans son ensemble ?
Réponse du Ministre :
“Monsieur le Député, je partage votre constat: les dépenses électorales sur les réseaux sociaux engendrent des excès et font courir des risques démocratiques. Des dérives ont été mises en évidence dans deux documents récents de la Commission de Venise2019 et2020. Dès 2007, le Conseil de l’Europe suggérait aux États membres de prendre des mesures pour réglementer la publicité politique payante. Spécifiquement, le processus de ciblage des électeurs qui implique la publicité politique payante sur les réseaux sociaux est épinglé par le Conseil de l’Europe comme étant particulièrement problématique. Le Sénat aussi, dans son rapport d’information en matière de lutte contre les infox, daté du 25 octobre 2021, recommande aux différentes autorités d’agir de manière préventive et proactive.
Les mesures portées par l’avant-projet de décret concernant la réglementation de la publicité politique payante s’inscrivent pleinement dans ces recommandations. Les modifications sont justifiées par la nécessité de garantir la protection des citoyens contre les procédés utilisés sur les réseaux sociaux et contre le risque de désinformation qui en est le corollaire. Il s’agit aussi et surtout de mettre fin à la différence de traitement qui existe actuellement entre la propagande électorale opérée via la publicité politique payante sur les plateformes de médias sociaux qui ne fait, pour l’instant,l’objet d’aucune réglementation, et celle opérée via la diffusion de spots publicitaires à la radio, à la télévision et dans les salles de cinéma qui est interdite par la législation initiale. Pour cela, une des mesures de l’avant-projet de décret que vous évoquez énonce que la diffusion ciblée de messages sur internet et les plateformes de médias sociaux en contrepartie d’une rémunération est désormais plafonnée, durant la période électorale, à 50% du montant des dépenses autorisées pour les listes et les candidats.
Cette réponse équilibrée va à la rencontre des recommandations européennes, tout en laissant aux candidats la faculté d’utiliser ces nouveaux médias dans des limites raisonnables. Par exemple, un candidat qui se présente dans une circonscription de 8000 habitants ne pourra dédier aux réseaux sociaux que la moitié du montant autorisé, soit 625euros. Ce montant nous paraît raisonnable comparé aux tarifs des principales plateformes de médias sociaux pour la diffusion d’un message simple à audience limitée, avec une fréquence de diffusion de moyenne à importante. Si l’avant-projet ne modifie pas l’instance compétente pour statuer sur les recours administratifs en matière de contrôle et de limitation des dépenses électorales, il apporte de nombreuses améliorations quant à leur réglementation.
Il permet, entre autres, la communication des montants indicatifs autorisés de dépenses électorales à la date du 1erjuillet2024, donc plus tôt dans le processus électoral. Cela permettra aux listes et candidats d’avoir, avant l’ouverture de la période électorale, une idée suffisamment précise des plafonds de dépenses électorales. Il clarifie aussi certaines notions importantes comme celles des cadeaux et gadgets. Il prévoit l’interdiction de certaines sources de financement, par exemple, par des personnes physiques établies en dehors du territoire belge, à l’exception de celles qui possèdent la nationalité belge. Il affirme très clairement l’interdiction de financement, au travers dedons, par des personnes morales. Enfin, l’avant-projet apporte de nombreuses améliorations à la procédure électorale, en témoigne d’ailleurs le nombre de ses articles – 285 – dont beaucoup tendent spécifiquement à sécuriser davantage la procédure et à restaurer la confiance par différents procédés.
J’en citerai trois pour terminer :
- le renforcement de la sécurisation du vote par procuration ;
- des règles relatives à l’affichage électoral plus précises ;
- des règles plus souples pour les personnes en situation de handicap ayant besoin d’un accompagnement particulier le jour du scrutin.”
C’est un très gros avant-projet de décret qui viendra sur notre table le moment venu. On aura abondamment l’occasion d’en parler. Je dois saluer l’important travail du groupe de travail parlementaire qui a été mené sur cette question. C’est vrai que, concernant les réseaux sociaux, la comparaison avec les campagnes publicitaires interdites en période électorale est pertinente. Cependant, dans le même temps, il y a une préoccupation à avoir à ne pas interdire totalement, parce qu’il y a un risque de détournement du financement par d’autres groupuscules qui n’ont pas les mêmes contrôles que ceux imposés aux partis politiques, comme on peut l’observer dans d’autres pays.
Ce compromis qui est trouvé entre l’interdiction totale et une limitation à un pourcentage comme celui que vous avez évoqué est un bon compromis. Je voulais insister sur des règles complémentaires qui doivent s’y ajouter : une obligation de retrait rapide des pubs qui seraient illégales par les plateformes et l’imposition d’un registre public qui reprend les montants dépensés sur chacun des réseaux. Ce sont des éléments qui sont importants aussi pour faire toute la clarté.
Concernant l’organe de recours, je note les grandes avancées, et je m’en réjouis, sur la question du contrôle des élections. Par contre, sur la question du contrôle des dépenses, je pense que si on ne passe pas par un organe de recours collégial, il faut alors renforcer «l’échelle des peines» par rapport au type d’infractions commises pour limiter au maximum le risque d’arbitraire et faciliter le travail de la commission. Je pense que c’est vraiment particulièrement important, mais nous aurons l’occasion d’y revenir.