Bourses liées au gouvernement chinois : défendre la liberté académique !

En mai dernier, des employés de l’université Erasmus de Rotterdam ont formulé des critiques quant aux conditions d’accès à la très célèbre bourse du China Scholarship Council, financée par l’État chinois, qui permet notamment à des doctorants chinois de travailler au sein d’universités étrangères.

Parmi ces conditions, explicitement publiées sur le site web du China Scholarship Council, figure la nécessité pour les doctorants de se plier à la ligne politique du Parti Communiste Chinois et l’obligation de retourner en Chine une fois leurs recherches terminées.

En cas de doute sur l’orientation politique du doctorant, celui-ci est également susceptible d’être interrogé. Les universités néerlandaises reçoivent par ailleurs un bonus d’environ 80 000 euros pour chaque thèse réussie. L’arrivée de doctorants financés par des entités extérieurs, en l’occurrence l’État chinois, peut donc coûter très peu aux universités, mais leur rapporter beaucoup.

Alors que la détérioration des droits fondamentaux en Chine progresse, l’existence de partenariat de cette nature entre les universités belges et les bourses du China Scholarship Council pose question.

D’où ces questions adressées à la Ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny :

  • Quelles universités de la Fédération acceptent des doctorants boursiers du China Scholarship Council ? Des doctorants financés par des bourses du China Scholarship Council travaillent-ils au sein d’établissements d’enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles ? Si oui, combien et dans quels établissements ?
  • Des étudiants peuvent également bénéficier des bourses du China Scholarship Council. Des étudiants bénéficiaires de ces bourses sont-ils inscrits dans des universités de la Fédération ? Si oui, combien et dans quelles universités ?
  • Compte-tenu des conditions imposées par le China Scholarship Council à ses bénéficiaires, les universités de la Fédération entendent-elles poursuivre leur collaboration avec celui-ci ? Ne serait-il pas logique de pousser les universités à refuser de collaborer avec des doctorants dont le financement dépend de la ligne politique d’un parti politique, qui plus est peu soucieux des droits humains ?

Réponse de la Ministre :

“Monsieur le Député, je condamne comme vous les faits d’ingérence et les atteintes aux droits humains qui pourraient notamment se produire par l’utilisation détournée des échanges au sein de nos établissements d’enseignement supérieur. Les étudiants chinois sont principalement des doctorants. Ils sont porteurs d’une bourse du CSC et sont présents dans certaines de nos universités – l’Université libre de Bruxelles (ULB), l’Université catholique de Louvain (UCLouvain) et, dans une moindre mesure, l’Université de Liège (ULiège).

Ces étudiants bénéficient d’une exemption de la procédure de vérification dite APS (Akademische Prüfstelle), à laquelle peuvent être soumis d’autres étudiants chinois non porteurs de ce type de bourse. La procédure APS n’est pas un procédé de screening académique, mais plutôt une condition visant l’octroi d’un visa étudiant, laquelle condition est imposée par les autorités fédérales, afin de vérifier l’authenticité et la plausibilité des diplômes ou certificats des étudiants chinois souhaitant entreprendre des études supérieures en Fédération Wallonie- Bruxelles. L’exemption prévue pour les étudiants titulaires d’une bourse CSC est également valable pour la Flandre, qui accueille un nombre plus élevé d’étudiants chinois que les établissements francophones.

Parmi le nombre d’étudiants concernés, deux cas sont à distinguer: tout d’abord, ceux relevant de l’accord entre le Fonds de la recherche scientifique (FNRS), Wallonie-Bruxelles International (WBI) et le CSC; ensuite, ceux relevant des accords directement passés par les établissements d’enseignement supérieur avec le CSC.

Un mémorandum relatif à la coopération dans les domaines de l’enseignement et de la collaboration scientifique a été signé le 18 novembre 2019 entre le FNRS, WBI et le CSC, pour une période de cinq ans prolongée automatiquement pour une année supplémentaire en l’absence d’objections de l’une des parties. Il fait suite à deux accords précédents signés en 2008 et 2015. Ce mémorandum permet, d’une part, à des étudiants doctorants et post-doctorants de notre Fédération de se rendre dans des universités chinoises et, d’autre part, à des candidats chinois, à partir du niveau doctoral, de poursuivre leurs études et recherches dans des universités de notre Fédération. Ces candidats sont entre deux et quinze présents sur notre sol, selon les années.

Pour ce qui est de l’accueil de ces étudiants, l’intervention de WBI se limite à la prise en charge des frais d’inscription et l’octroi d’une aide au logement. Les termes de l’accord ne font en tout cas pas référence à un bonus de quelque ordre que ce soit, qui serait versé aux universités pour chaque thèse réussie. En revanche, ces étudiants retournent en effet en Chine après leurs études en Belgique.

WBI participe par ailleurs à une task force suivant le cas précis chinois et rassemblant divers acteurs au niveau belge coordonnés par le SPF Affaires étrangères. L’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES) a tout récemment été invitée à y prendre part.

En ce qui concerne les accords entre le CSC et les établissements d’enseignement supérieur, ces derniers sont autonomes en la matière et sont compétents pour juger de la plus-value des étudiants chinois qui veulent intégrer leurs programmes. Il n’est pas de mon ressort de les empêcher de collaborer avec d’autres universités étrangères. L’ULB a notamment mis fin à son accord avec le CSC, diminuant nettement l’arrivée de doctorants ayant obtenu ce type de bourse.

La question de la sécurité et de l’éthique de la connaissance est particulièrement d’actualité pour nos établissements et fait l’objet, depuis quelques mois, de réflexions soutenues au sein de différentes instances à différents niveaux de pouvoir (la plateforme de recherche et d’innovation de WBI, le Conseil des recteurs des universités francophones (CRef), l’ARES, Science Europe, etc.).

Ces échanges ont notamment pour but de définir des principes communs pour mieux évaluer la coopération avec des partenaires étrangers, tout en préservant la liberté académique et en reconnaissant l’importance de la coopération internationale. Au vu de l’actualité internationale, les établissements d’enseignement supérieur ont pris des mesures au cours des dernières années afin d’évaluer les risques potentiels sur les droits humains et le respect de l’environnement, et ont établi des principes éthiques d’intégrité des collaborations et des projets engagés avec des partenaires non européens.

Outre ces principes de base, les projets des candidats sont également évalués à la lumière des risques de double usage civil et militaire. L’ARES a par ailleurs proposé des recommandations aux établissements en matière de gestion du risque de façon plus générale et coordonne des discussions sur ces questions, parfois en collaboration avec la Sûreté de l’État, afin de fluidifier les échanges d’information sur ces sujets sensibles.

Enfin, comme je l’ai mentionné en réponse à votre question écrite du 23 août dernier relative à l’espionnage académique chinois, les établissements d’enseignement supérieur et l’ARES collaborent régulièrement avec l’Office des étrangers dans le cadre de la réforme des visas pour les ressortissants de pays tiers à des fins d’études et de recherche. Les établissements, voire l’ARES, se voient également sollicités directement par le réseau diplomatique extérieur de WBI lorsque des étudiants sont soupçonnés de fraude.”

Ce dossier m’inquiète et me préoccupe, de la même façon que tous les défenseurs de la liberté académique, de la liberté d’expression et des droits de l’homme. Je suis donc particulièrement heureux d’entendre que la Ministre condamne les ingérences qui pourraient avoir lieu ainsi que les atteintes à ces libertés et droits fondamentaux. Toutefois, la présence des étudiants financés par le CSC au sein de nos établissements est une réalité. Conditionner l’obtention de bourses à l’allégeance au Parti communiste chinois, qui pratique actuellement un génocide et bafoue complètement les droits de l’homme, est profondément choquant et inacceptable.

Il convient cependant de rester nuancé dans un dossier comme celui-ci : tous les bénéficiaires de ce type de bourses ne signent pas par conviction politique, certains le font par opportunisme. On peut dénoncer ce système d’attribution des bourses sans d’office refouler tous les chercheurs chinois qui en bénéficient, certains d’entre eux le font par nécessité. Nous devons parvenir à un équilibre. Des réflexions sont en cours, des conditions sont instaurées et une concertation est initiée entre les différents établissements, l’ARES et la Sûreté de l’État, ce dont je me réjouis. J’invite l’ensemble des acteurs à poursuivre et à renforcer cette concertation, car ce sujet est sérieux et mérite toute notre attention. J ’espère que la Ministre sera particulièrement attentive à ce dossier.