Réforme de la fonction publique locale : de l’innovation et de l’audace pour réellement venir en aide aux communes

J’ai voulu revenir auprès du Ministre des Pouvoirs locaux sur cette importante question de la réforme de la fonction publique locale et la facilitation du recrutement par les communes. Les communes rencontrent en effet aujourd’hui d’énormes difficultés à recruter du personnel qualifié et, surtout, à le conserver.

Un groupe de travail a été mis en place en mai 2022 pour plancher sur cette réforme, en identifiant d’abord les constats sur base des retours des acteurs de terrain, avant d’établir un plan d’actions.

Et quand on écoute les acteurs de terrain, les constats sont clairs : lourdeur des procédures de recrutement, absence d’outils de RH et de système d’évaluation adaptés, problème de valorisation de l’ancienneté et d’attractivité, statut qui ne correspond plus aux réalités, etc.

Lors de notre dernier échange, il y a 15 jours, le Ministre des Pouvoirs locaux indiquait déposer une note d’orientation reprenant les constats et ce plan d’actions sur la table du gouvernement le 19 janvier.

Dans la presse, il indiquait que le Gouvernement avait validé cette note d’orientation, avec plusieurs priorités : la création de nouveaux titres de compétences pour ne plus tout baser sur le diplôme et permettre des profils plus polyvalents, la valorisation de l’ancienneté acquise, ou encore permettre l’accès aux promotions aux contractuels…

D’où ces nouvelles questions :

  • Pouvez-vous détailler votre plan d’actions concret pour répondre aux difficultés soulevées par les pouvoirs locaux en la matière ?
  • Quelles mesures concrètes avez-vous mises sur la table pour élargir les possibilités de promotions, ne plus lier systématiquement les fonctions aux diplômes et favoriser les recrutements ?
  • Quelles sont les autres priorités déterminées au niveau du groupe de travail et sur lesquelles vous travaillez ? Le calendrier prévu sera-t-il bien tenu ?

Dans sa réponse, le Ministre indique entre autres que :

“En ce qui concerne la fonction publique locale, j’ai présenté, le 19 janvier dernier, une note d’orientation qui fait le point de l’état d’avancement relatif au travail qui se tient au sein du Comité C, qui a d’ailleurs, à l’unanimité, approuvé un plan d’action à mettre en œuvre en la matière.

Les travaux du groupe de travail ont commencé en mai 2022. Je pense que les travaux ont été très constructifs et fructueux. Par ailleurs, j’ai fait le choix d’avancer en consultant le terrain et l’ensemble des acteurs de la fonction publique. Il s’agissait d’une étape préalable qui peut paraître lourde, mais elle était nécessaire pour sentir la sensibilité du terrain. Dans un premier temps, il a été décidé de dresser, avec ce groupe de travail au sein du Comité C, une série de constats en matière de fonction publique locale, afin d’identifier les freins et les difficultés aujourd’hui vécues dans l’ensemble des pouvoirs locaux.

Pour ce faire, différents acteurs de terrain ont été auditionnés au sein dudit groupe de travail. Nous avons entendu les fédérations des grades légaux communaux, de CPAS et provinciaux, le SPW IAS et les partenaires sociaux, à savoir les organisations syndicales.

Parallèlement à la tenue de ce groupe de travail, j’ai lancé l’opération « Ambitions communes » qui m’a permis également de rencontrer des centaines de mandataires, mais également des gestionnaires de commune qui le font au jour le jour, des centaines de directeurs financiers, des centaines de directeurs généraux, par rapport à leurs problématiques de leur vécu quotidien en termes de gestion, notamment de ressources humaines.

Quels sont ces constats ? Tout d’abord, la diminution du nombre d’agents statutaires est une réalité : seulement 18,6 % des agents locaux wallons sont statutaires. De manière globale, il y a donc plus de 70 % d’agents qui sont des agents contractuels dans la fonction publique locale. Il existe de multiples causes à cette situation, telle que la charge patronale, les absences pour maladies, le premier mois garanti, les aides à l’emploi qui sont réservées aux agents contractuels et les coûts des pensions. Les autres constats sont également liés aux lourdeurs des procédures quand on veut recruter, aux promotions qui ne sont pas accessibles aux contractuels, aux évolutions barémiques qui sont plafonnées et pour lesquelles, lorsque l’on est en bout d’échelle, on n’a pas de possibilité d’évolution, le cloisonnement entre les différentes carrières, les échelles barémiques peu concurrentielles pour certains métiers qui font ensuite que les personnes qui sont dans la fonction publique sont tentées d’aller dans le privé, l’absence de mobilité entre les pouvoirs locaux – c’est très compliqué de pouvoir réaliser de la mobilité saine –, la valorisation limitée de l’expérience acquise qui est aujourd’hui limitée à 10 ans lorsque l’on a travaillé dans le privé et, finalement, des principes généraux qui ont été édictés – la RGB. En 1994, on voulait plus d’homogénéité entre les différents pouvoirs locaux. Il était temps d’évoluer en la matière.

Voici les mesures de mon plan d’action. Les principales mesures en matière d’attractivité et de recrutement sont les suivantes : la mise en place de procédures de recrutement et d’engagement adaptées et souples dans le respect notamment des principes de publicité et d’égalité d’accès à un emploi public – c’est indispensable –, et de comparaison de titres et mérites.

Il faut de la réactivité et de la souplesse pour concurrencer les autres secteurs. Nous allons donc agir pour permettre aux pouvoirs locaux de faciliter ses recrutements.

On souhaiterait également généraliser des éléments constitutifs d’une gestion de ressources humaines qui soit plus professionnelle, notamment avec, dans toutes les communes, un cadre, un organigramme, des descriptions de fonctions, des plans de formation et une évaluation. J’entends rendre ces outils obligatoires. On doit également créer de nouvelles filières. Comme dans le secteur privé pour certaines matières, on a aussi des pénuries et des difficultés de recrutement ; il convient donc de trouver des formules afin de développer des échelles plus attractives pour recruter certains profils.

Par exemple, si l’on prend un informaticien, il n’y a pas de comparaison entre ce qu’il peut gagner dans le secteur privé et dans le secteur public. Je crois qu’il faut faire face à cette réalité.

Le développement de nouveaux types de compétences qui permettent l’accès à certaines fonctions au sein de la fonction publique ; le diplôme ne sera plus le seul élément à prendre en considération. Il faut donc capter et conserver les compétences des agents.

Enfin, la valorisation de l’ancienneté qui a été acquise dans le secteur public ou dans le secteur privé en tant qu’indépendant.

Ensuite, des mesures qui sont relatives à l’évolution de carrières ; le développement des perspectives de carrière pour l’ensemble des travailleurs en créant des évolutions de carrière pour les agents qui n’ont pas ou aujourd’hui qui œuvrent en ouvrant la promotion aux contractuels, c’est-à-dire le fait de permettre aux contractuels – je sais que cela se fait dans certaines communes, que l’on puisse clarifier les choses au niveau de la position de la Région wallonne – d’être candidats.

Évidemment, c’est toujours un mixte avec le statut à défaut de lauréat statutaire. Il s’agit donc d’une ouverture, mais qui ne remet pas en cause le principe relatif à l’emploi statutaire.

La contractualisation croissante de la fonction publique locale est donc une réalité ; ce n’est pas pour autant qu’il faut faire un raccourci et déduire qu’il y a lieu de supprimer le statut. En tout cas, aujourd’hui, ce n’est pas le chemin qui a été entrepris.

Quant à faciliter les nominations des agents et faire en sorte que cela soit supportable pour les communes, je vous rappelle que le coût de l’emploi statutaire est intimement lié au coût des pensions, lequel ne dépend pas de la Région wallonne, mais relève de l’État fédéral. Le décloisonnement des carrières est quelque chose auquel je suis extrêmement sensible, c’est-à-dire de mettre fin à l’étanchéité des carrières administratives, techniques ou ouvrières pour permettre plus de possibilités de promotion ou de mobilité interne.

De plus en plus, on demande des compétences transversales et il faut que, lorsque l’on rentre dans la fonction publique dans une commune, on puisse avoir des perspectives de carrière et que l’on puisse avoir la possibilité d’évoluer en changeant de métier dans l’administration.

La barrière entre ces catégories est devenue obsolète. Par ailleurs, vous savez que je suis particulièrement attentif à la mutualisation des ressources entre les pouvoirs locaux. Deux mesures sur cette thématique :

  • la mise à disposition du personnel statutaire et contractuel d’un pouvoir local à un autre sera définie et organisée afin d’encourager la mutualisation des ressources, notamment pour les plus petites entités. On facilitera cela pour mutualiser certains services. Lorsque j’ai fait le tour des différentes communes lors de l’opération « Ambitions communes », on m’a souvent dit : « Nous n’avons pas la possibilité d’avoir un service décent, un service avec l’un ou l’autre technicien qui pourrait rentrer les dossiers ». Je crois qu’en décloisonnant cela on pourra rendre un meilleur service à la population ;
  • à l’instar de ce qui est prévu pour les grades légaux, un pouvoir local pourra dispenser un candidat d’une partie des épreuves de recrutement pour autant qu’il démontre qu’il a réussi le même type d’épreuve, pour une fonction équivalente, dans un autre pouvoir local, et toute une série de mesures en matière de formation, de promotion et de recrutement.

Le plan d’action fixe des objectifs réalistes et ambitieux qui vont permettre de donner des perspectives de carrière à l’ensemble des travailleurs et tenter d’améliorer l’attractivité au niveau de la fonction publique locale. Au-delà des avancées importantes, la réforme a pour but de coordonner et donner de la lisibilité à la matière, ce qui n’est absolument pas le cas pour l’instant.”

C’est un plan d’action qui contient beaucoup d’éléments intéressants qui vont dans le bon sens, notamment en termes de carrière et d’évolution, et le Ministre a beaucoup insisté sur la mutualisation et la mobilité. J’y crois beaucoup.

Je crois aussi beaucoup en cette question de la valorisation de l’ancienneté, à condition – c’est une condition importante – que les moyens financiers puissent suivre, parce qu’on sait que cette valorisation aura un impact financier. L’enjeu de tout cela est la concrétisation – à ce niveau-là je me réjouis du calendrier que le Ministre annonce puisqu’il parle de l’été.

Il est toutefois clair que c’est un travail de longue haleine, et qu’il y a une opportunité qui se présente à nous. C’est l’occasion de pouvoir faire preuve
d’innovation et d’une certaine audace pour réellement venir en aide aux communes face aux enjeux qui se présentent à elles, notamment l’enjeu des pensions.

Par rapport aux différentes innovations possibles, j’aimerais ajouter un élément dans la réflexion. Une piste qui me semble intéressante à creuser est la mutualisation des procédures de recrutement, où je pense que l’on pourrait aller plus loin, par exemple dans un pool commun de recrutement pour certaines fonctions. La question des grades légaux notamment pourrait être creusée.

Pour terminer, je crois que l’on peut réfléchir à cette question du statut : le Ministre précédent y avait réfléchi. Vu la chute drastique des statutaires – le Ministre évoque ces chiffres de 16 % –, on n’aura bientôt plus que des contractuels. C’est intéressant de pouvoir encadrer avec quelques balises, qui sont fixées par décret, une forme de statut mixte plutôt que de n’avoir plus que des contractuels que l’on ne sait plus du tout encadrer.

Il y a là une piste de réflexion qui peut être menée, à condition de prévoir un soutien financier qui permette d’assurer cette transition. Je ne sais pas si cela pourra être fait sous cette législature, mais c’est une direction dans laquelle on doit avancer dans les prochains mois.