Mi-septembre, la Ministre de l’Enseignement supérieur, Françoise Bertieaux, a transmis aux établissements d’enseignement supérieur la circulaire 9037 pour la prévention et la lutte contre le harcèlement, les discriminations et les violences sexuelles au sein des établissements de l’enseignement supérieur et de promotion sociale. Je souhaiterais à cette occasion et à la suite de la publication d’un article du Soir le 10 octobre revenant sur le rapport Tulkens et sa mise en œuvre, revenir sur cette problématique.
La circulaire intègre les nouvelles dispositions du Code pénal et les personnes de contact au sein des établissements. A part ces éléments, la nouvelle circulaire, qui reste non contraignante, ne diffère pas fortement de la précédente envoyée il y a deux ans.
Cependant, plusieurs évènements sont intervenus depuis lors. Je pense en particulier au vote, à la quasi-unanimité de ce Parlement, en octobre 2021, de la résolution visant à prévenir et à lutter contre le harcèlement des étudiantes et des étudiants.
Parmi les demandes formulées au gouvernement de la Fédération-Wallonie, le point 10 stipule : adopter un cadre spécifique applicable à l’ensemble de l’enseignement supérieur concernant la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel, notamment en vue d’intégrer ces questions dans le règlement des études et des examens. Outre l’adoption d’un cadre légal spécifique, elle prévoit également la mise en place obligatoire d’un point de contact dans chaque établissement, ainsi que d’une voie de recours externe commune à l’ensemble des établissements.
Il est fondamental de prendre en compte, et nous ne cessons de le répéter, le fait que le fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur comporte des spécificités et engendre donc des formes spécifiques de violences.
Fin de l’année académique dernière, un comité d’experts et d’expertes réuni par l’UCLouvain a d’ailleurs rendu son rapport, le rapport Tulkens, dans lequel on peut justement lire que, dans le milieu de l’enseignement supérieur, la violence et le harcèlement sont liés à des caractéristiques spécifiques comme la forte hiérarchisation du milieu, la subordination multiple, la précarité et des relations structurellement déséquilibrées.
Pour répondre à ces spécificités, l’une des réponses doit être la mise en place d’un cadre légal spécifique à l’ensemble des établissements. Il est donc nécessaire d’aller plus loin que des initiatives isolées.
Car, à l’heure actuelle, si une première prise de conscience semble voir le jour à certains endroits, ce n’est clairement pas le cas à d’autres. On me rapportait encore de réelles absences de suivi et de décisions à l’ULB par exemple.
D’où ces questions :
- Quelle sont vos perceptives, d’ici la fin de la législature, dans la lutte contre le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles ?
- Où en êtes-vous dans la mise en œuvre de la résolution votée par ce Parlement ?
- Quelles suites avez-vous réservées au rapport Tulkens ?
Réponse de la Ministre :
“J’ai bien pris connaissance du rapport du comité d’experts intitulé «Harcèlement et violences de genre» et également appelé «rapport Tulkens». Au vu du nombre de questions que les membres posaient au sein de cette commission sur ce thème, il avait semblé pertinent à ma prédécesseure, Mme Valérie Glatigny, d’en demander une copie au recteur de l’UCLouvain. Je ne me prononcerai pas quant aux possibilités de rendre ce rapport public. Cette décision revient aux autorités académiques qui ont commandité ce rapport. Il me semble toutefois que ce document circule déjà largement et je ne doute pas que vous en avez pris connaissance. La majeure partie des recommandations s’adressent aux autorités de l’UCLouvain. Les mesures que nous avons prises jusqu’à présent complètent toutefois parfaitement ces recommandations. Ainsi, le comité rappelle que l’UCLouvain doit appliquer tout d’abord et intégralement les dispositions légales qui s’imposent en la matière, à savoir la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, le Code du bien-être au travail, qui donne lieu à des sanctions pénales, ainsi que la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination. C’est d’ailleurs ce que nous invitons les établissements à faire, à travers notre circulaire 8256 du 13 septembre 2021 et la circulaire 9037 du 18 septembre 2023. Ces circulaires rappellent aux établissements leurs missions ainsi que le cadre légal qui leur est appliqué en la matière. Il ne s’agit pas d’initiatives isolées comme vous le suggérez, Monsieur Demeuse, mais d’un cadre légal applicable à tous les établissements.
Le comité appelle à plusieurs reprises à une meilleure communication sur la violence et le harcèlement fondés sur le genre. C’est également un des objectifs de ces circulaires que je vous invite à diffuser. Au plus l’information circulera, au mieux les victimes et les auteurs sauront vers qui se tourner en cas de besoin. Tant dans les circulaires que dans l’avis du comité, il est demandé aux établissements d’inscrire la lutte contre le harcèlement, les discriminations et les violences sexistes et sexuelles dans le règlement général des études. IL leur est également demandé de désigner un point de contact. Par ailleurs, la Charte relative aux activités festives et folkloriques estudiantines en Fédération Wallonie-Bruxelles, qui a été actualisée récemment, notamment en y intégrant la prévention et la lutte contre toutes les formes de discriminations, de violences, de harcèlement, est désormais diffusée via le site www.mesetudes.be et peut être mobilisée par chacun et chacune pour mettre un terme à des agissements inadéquats.
Le 15 juin dernier, le gouvernement a adopté en première lecture l’avant-projet d’arrêté fixant les hypothèses et les conditions de l’action positive. Comme ce futur arrêté s’appliquera également à l’enseignement supérieur, il donnera aux établissements un cadre légal qui leur permettra de respecter les différentes recommandations. Celles-ci visent la prise en compte des différences liées au genre et la promotion d’actions positives assurant une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans toutes les catégories de personnel et à tous les niveaux de prise de décisions. Quant à l’étude «BEHAVES», les résultats vous seront bien présentés à la fin de cette année, en décembre, comme cela a été annoncé à maintes reprises.“
Réplique :
Je voudrais insister sur le fait que le cadre existant n’est pas suffisant. J’entends bien les propos de Madame la Ministre : les législations existent. Mais ces législations engendrent une situation dénoncée, aujourd’hui, par tous les acteurs : Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES) et les étudiants. En effet, les étudiants ne sont pas protégés de la même manière selon l’établissement dans lequel ils se trouvent. Le cadre légal n’oblige les établissements ni à instaurer un point de contact ni à prendre des mesures. Cela dépend dès lors du bon vouloir de l’établissement. Cela dépend aussi du type de harcèlement. Seul le harcèlement fondé sur une base discriminatoire est visé par le cadre légal. Hors ce cas précis, les étudiants ne sont pas protégés.
Il est important d’instaurer un cadre légal qui soit applicable à toutes les formes de discrimination et qui contraint tous les établissements à instaurer un point de contact. Un point de contact externe est par ailleurs absolument nécessaire. Cette recommandation figurait dans la résolution que le Parlement a adoptée à la quasi-unanimité. Il nous faut avoir un véritable dialogue sur cette question pour tenter d’avancer sur ce dossier. Il faut dépasser les frilosités institutionnelles de certains établissements pour lesquels la situation est plus compliquée. Je salue et encourage en tous cas les efforts entrepris dans certains autres établissements qui prennent les choses à bras-le-corps.