Le décret pour un impôt plus juste en Wallonie a finalement bien été voté en commission du Parlement wallon ! Une belle avancée pour plus de justice fiscale et moins d’abus qui pesaient sur les épaules de l’ensemble de la population. Voici mon intervention en commission :
Dès qu’on évoque les questions d’« impôt », ça suscite toujours beaucoup de peur et de réactions fortes…
C’est pourquoi il est parfois bon de rappeler que l’impôt ce n’est pas un gros mot !
- Il permet de financer nos services publics, nos transports en commun, nos routes, nos maisons de repos, nos communes, nos écoles…
- Mais aussi de faire face aux terribles crises auxquelles on est aujourd’hui confrontés : covid + inondations (+ réchauffement climatique…)
Mais c’est en effet fondamental que l’impôt ait du sens pour être accepté par les citoyens.
Pour cela, il faut 2 conditions :
- Qu’il soit correctement utilisé => dans des services publics efficaces
- Et surtout qu’il soit juste et équitable, dans sa conception et dans sa perception
Or aujourd’hui, une série de personnes, une minorité, peut encore trop facilement contourner les règles et les enfreindre impunément.
Et ça vaut bien sûr dans toute une série de matières fiscales qui dépendent du fédéral, mais aussi de plus en plus en ce qui concerne les régions, au fur et à mesure que se développe l’autonomie fiscale régionale.
Monsieur le Ministre l’a rappelé : 2 types de comportements posent problème :
- à la fois la fraude fiscale : réelles infractions à la législation commises
- mais aussi l’abus fiscal, respect en apparence du prescrit légal mais détournement de l’esprit via des mécanismes de planification fiscale parfois très agressifs
Et dans ces deux cas, il y a un point commun :
- cela
engendre non seulement d’importantes
recettes en moins pour
les caisses wallonnes (et de l’état en général)
- alors que la situation budgétaire est plus compliquée que jamais
- mais
surtout, cela crée une situation de profonde
injustice
entre les contribuables :
- entre ceux qui paient correctement leurs impôts, qui participent à l’effort collectif, qui jouent le jeu de la solidarité
- et les autres, souvent ceux qui ont le plus de moyens, qui ne représentent qu’une infime partie de la population et qui peuvent profiter de ces niches fiscale, parce qu’ils sont mieux informés ou qu’ils ont les moyens de se payer des conseils de fiscalistes pour pratiquer des montages fiscaux particulièrement évolués…
Et donc c’est le reste de la population, l’immense majorité, la moins aisée et la classe moyenne, qui doit supporter seule sur ses épaules tout le poids de ces recettes en moins, avec soit des services moins performants, soit de nouveaux impôts qui doivent être prélevés pour combler le trou.
Cette situation est franchement injuste, insupportable, qui participe au sentiment de rejet de la population par rapport à l’impôt en général ! Alors qu’on en a besoin, comme dit plus haut.
Je me réjouis donc vraiment que le Gouvernement ait pris les choses en main et s’attaque à cette question avec ce projet de décret.
Et finalement cette séquence aura eu un mérite, celui de faire la publicité de ce texte et d’envoyer un signal clair à toutes les personnes qui seraient tentées d’aller à l’encontre des objectifs du législateur !
Car s’attaquer ainsi à la fraude et à l’abus fiscal c’est avant tout une façon de ramener de la justice fiscale, et des moyens, sans devoir augmenter l’impôt !
C’est un texte important qui contient une série de mesures très intéressantes, avec pour but recherché l’efficacité, la clarté et plus d’équité dans le paiement de l’impôt.
Je veux insister sur quelques points qui me tiennent plus spécifiquement à cœur. Et poser aussi quelques questions :
1. D’abord, en matière de lutte contre la fraude fiscale, je ne peux que me réjouir de l’extension des délais extraordinaires d’investigation et de taxation et des délais spéciaux de taxation de 5 à 10 ans :
- Ce délai de 10 ans a du sens ! Il était nécessaire d’offrir de nouvelles possibilités de lutte contre les fraudeurs
- La plupart des pays européens suivent cette voie également : Monsieur le Ministre a cité la France, le Luxembourg, l’Allemagne, le Royaume-Uni, etc.
- Et la complexification constante des législations et des mécanismes mis en place par les contribuables nécessite nécessairement des délais plus longs pour les poursuivre
- Mais c’est aussi un signal envoyé à ceux qui voudraient frauder : en leur disant qu’ils pourront être poursuivis plus longtemps et qu’ils devraient donc s’abstenir !
- Une condition importante toutefois évidemment : que les moyens humains suivent pour traiter les dossiers.
- C’est donc un premier point d’attention que je voulais soulever!
2. Autre point positif : l’intégration dans ce décret de la législation sur les lanceurs d’alerte pour l’appliquer aussi aux fonctionnaires fiscaux (sans la moindre équivoque possible) :
- Nous soutenons cet ajout sans réserve.
- On connaît le rôle crucial qu’ils ont joué dans la divulgation des derniers grands scandales, comme les panama et pandora papers, par exemple.
- C’est donc fondamental que le secret professionnel ne puisse pas constituer un obstacle à l’administration de la preuve en matière pénale + que les lanceurs d’alerte soient pleinement protégés d’éventuelles représailles…
- Evidemment, il faut mettre en œuvre la transposition de la directive sur la protection des lanceurs d’alerte au sein de l’administration wallonne pour que cette disposition soit pleinement effective
- On espère le plus rapidement possible ! Il y a urgence vu le délai de transposition qui coure en principe jusqu’à la mi-décembre
- Mais ce n’est qu’une question de quelques mois, et c’est justement très positif d’avoir dès à présent anticipé les choses => pour que ça soit extrêmement clair aussi en matière fiscale (à laquelle s’applique de toute façon la directive)
3. Ensuite, je veux m’attarder moi aussi sur un autre point qui pour moi est l’une des avancées majeures de ce décret :
- L’introduction d’une disposition générale anti-abus dans la législation wallonne, sur le modèle de ce qui existe déjà au fédéral
- Je vous avais même interrogé sur cette question il y a plus d’un an et vous m’aviez indiqué votre intention d’avancer dans cette direction !
- Nous y voilà et je m’en réjouis !
- Avec cette mesure, on va donner des armes à l’administration wallonne pour lutter concrètement contre des situations d’abus fiscal
- C’est-à-dire, des actes juridiques qui respectent la législation et ne relèvent donc pas de la fraude fiscale (là il y a déjà des outils), mais qui vont à l’encontre des objectifs du législateur dans un but essentiellement fiscal
- Et ce qui est intéressant avec la mesure générale, c’est que ça permet
- de couvrir de manière anticipative toutes les hypothèses potentielles (et donc d’avoir un effet dissuasif sur les contribuables qui seraient tentés de jouer avec le feu)
- + d’éviter d’avoir chaque fois un temps de retard
- Puisqu’il existe évidemment des dispositions spécifiques anti-abus, mais elles ne permettent pas de tout anticiper
- Au contraire : elles ont même tendance à montrer le chemin à certains contribuables sur la façon de les contourner
- Et comme leur imagination est sans limites et qu’ils vont souvent plus vite que le législateur, en l’absence de disposition générale comme celle-ci, ils ont alors systématiquement un coup d’avance…
- Réelle nécessité donc de cette mesure générale anti-abus
- Réelle nécessité aussi de baliser très précisément son utilisation. C’est un outil à manier correctement.
- Les commentaires de l’article évoquent une circulaire pour préciser les choses.
- Quand sera-t-elle publiée ?
Et juste une remarque quand même de terminologie :
- On reprend donc la formulation identique à celle utilisée par le fédéral (à l’article 344 CIR + dans le code des droits d’enregistrement et de successions)
- Je comprends la volonté d’ajuster toutes les législations, notamment en termes de sécurité juridique, en cas de reprise d’autres impôts assurés par le fédéral pour l’instant
- Mais
j’attire juste l’attention sur le fait qu’on parle donc, dans
le texte, de la notion
de « redevable »,
comme au fédéral
- Or, ça peut poser des soucis à l’avenir de ne viser que le redevable
- Redevable = celui qui paie effectivement la taxe
- Ainsi, par exemple pour un testament, celui qui rédige le testament n’est pas celui qui paie la taxe
- Et la disposition générale anti-abus ne peut donc pas s’y appliquer
- Pour l’instant, c’est le fédéral qui gère le service des droits de succession, donc c’est à eux à réfléchir à l’alternative de formulation, mais en cas de reprise, cela vaut la peine d’y penser aussi…
- Car ça pourrait éventuellement s’appliquer pour d’autres impôts.
- On pourrait notamment viser le contribuable, celui qui supporte le poids de la taxe…
4. D’autres mesures me semblent également particulièrement utiles :
- En matière de droits d’enregistrement et de succession, les mesures concernant les donation d’assurance-vie sont également les bienvenues pour clarifier les choses et s’assurer que l’on n’échappe pas aux droits de succession, comme c’est le cas aujourd’hui. Ca se fait par ailleurs déjà en Flandre (comme sur beaucoup de points en matière de lutte contre l’abus fiscal…).
- Mais cela nécessitera d’être correctement informé des contrats d’assurance-vie au niveau de l’administration, particulièrement pour ce qui concerne la taxation post-mortem lorsque le terme est prévu après la mort.
=> Est-ce qu’une convention est prévue avec les assureurs, comme c’est le cas en Flandre ? - Quant au passage de 3 à 5 ans de la période de réintégration des donations non-enregistrées dans les droits de succession, c’est aussi une initiative qui va vraiment dans le bon sens
- La mesure des 3 ans, c’est une mesure anti-abus qui date d’avant la deuxième guerre mondiale et vise, il faut le rappeler, à éviter qu’on élude tout impôt : à la fois les droits de donation et les droits de succession
- Aujourd’hui, les droits de donation sont beaucoup plus faibles qu’à l’époque : à 3,3 et 5,5 %
- L’espérance de vie a largement augmenté depuis les années 30’
- C’est donc logique de pousser à sécuriser les choses plus tôt
- A un taux qui reste hyper avantageux => 3,3% (contre 30% en succession !)
- Et c’est dans l’intérêt des gens !
- Les pousser à sécuriser au maximum leur donation, en enregistrant une donation mobilière (les immobilières sont toujours enregistrées), c’est aussi éviter une mauvaise surprise au moment du décès où on peut être amené à payer des droits de succession 10X plus élevés !
- Puisqu’on ne sait évidemment jamais quand on décède !
- Après, les gens peuvent encore décider de prendre le risque de ne pas enregistrer, en sachant juste à quoi s’attendre ! Mais il n’y a aucune obligation (contrairement à d’autres pays, comme la France où les donations manuelles sont obligatoirement enregistrables).
- Quant à la question de la rétroactivité, l’amendement déposé règle la question, ça fait 3 semaines qu’il y a un accord sur le sujet pour donner toutes les certitudes en la matière.
- Même si le Conseil d’Etat n’avait pas soulevé ce problème et que la Cour de Cassation a déjà validé des mécanismes similaires…
- Enfin, en matière de fiscalité automobile, là aussi les dispositions viennent limiter des abus évidents où certains bénéficient jusqu’à présent de régimes dérogatoires sans aucune raison objective
- C’est le cas pour les véhicules ancêtres,
- Pour lesquels c’était tout à fait illogique que le simple fait de rouler avec une vieille voiture, par définition plus polluante, permette d’échapper aux taxes que les autres paient, alors qu’ils roulent tout autant
- A l’heure où on tente de responsabiliser les citoyens par rapport aux comportements écoresponsables, ça n’avait évidemment aucun sens
- On parle de 18.000 voitures ultra polluantes, vous l’avez dit !
- L’avantage fiscal doit être limité à la réelle catégorie de véhicules ancêtres qui en remplissent toutes les conditions et qui sont immatriculés comme tels
- On corrige donc à très juste titre cette injustice évidente, en limitant aux vraies ancêtres…
- Et puis pour finir, quelques mots sur les camionnettes professionnelles…
- C’est un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive ces derniers jours
- Mais il faut bien rappeler que le régime hyper favorable mis en place est au départ un régime professionnel
- Et puis petit à petit, toute une série de personnes en ont profité pour des usages qui n’étaient absolument pas professionnels et qui ne correspondaient plus du tout au transport de marchandises qui justifiaient pourtant ce régime…
- On a tous en tête des exemples évidents d’abus où le contournement de la législation a permis à des personnes de bénéficier du régime hyper avantageux : avec l’absence de taxe de mise en circulation, en ce compris d’eco-malus, et une taxe de circulation plafonnée à 148 €…
- Simplement parce qu’ils ajoutent une cloison ou retirent des sièges, et le tour est joué.
- Alors qu’ils l’utilisent comme véhicule privé de tous les jours et absolument pas pour le transport de marchandise dans un cadre professionnel
- Il suffit d’aller voir sur quelques sites web pour voir comment on vend ces utilitaires dans un seul but fiscal pour les privés => définition même de l’abus fiscal !
- Et pourtant ces véhicules sont plus polluants et plus puissants que les autres véhicules qui eux sont soumis à toutes les taxes…
- Il n’y a donc aucune justification à ce que ces véhicules soient traités différemment des autres véhicules classiques.
=> C’était nécessaire de faire quelque chose contre ces faux utilitaires et je me réjouis que ça soit le cas…
- Avec enfin l’ambition de régler cette situation en fonction de l’utilisation réelle qui est faite de la camionnette.
- En limitant d’abord aux indépendants et personnes morales => c’est même assez dingue en fait que ça n’ait pas été le cas avant (puisque c’était la raison d’être du système)
- Et en ajoutant une condition d’utilisation pour l’activité professionnelle.
- Par rapport à ça : double question :
- On indique qu’il faut une utilisation « même partielle » à des fins professionnelles. C’est évidemment beaucoup mieux que la situation actuelle. Mais (important pour travaux parlementaires) qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce qu’une seule utilisation suffit ? Quelle proportion est nécessaire pour tomber sous le champ d’application ? Comment éviter les abus ?
- Et puis surtout : l’enjeu sera celui des contrôles. Quels moyens supplémentaires va-t-on consacrer à la vérification de cette condition ?
Juste un dernier mot pour dire que nous soutiendrons évidemment les amendements techniques présentés par Monsieur le Ministre, sur lesquels nous avions déjà marqué notre accord au mois de novembre, et qui apportent des précisions utiles au texte.
Par ailleurs les réflexions se poursuivent, tant pour l’impôt juste avec les autres volets annoncés, que pour la fiscalité immobilière avec les auditions annoncées !
Voilà pour les éléments que je voulais mettre en avant, en me réjouissant encore de ce projet de décret qui va vraiment dans le bon sens !