Ce n’est pas la première fois que la Ministre de l’Éducation, Caroline Désir, est interrogée quant aux conditions de travail des éducateurs en internat. Alors que le décret du 3 mai 2019 portant sur diverses dispositions en matière d’enseignement obligatoire et de bâtiments scolaires modifiait l’arrêté royal du 8 avril 1959 régissant notamment le régime de travail des éducateurs en internat, de nombreux problèmes n’ont pas été résolus.
En premier lieu, la rémunération du temps de travail durant les nuits dites «dormantes» demeure problématique. Si le décret du 3 mai 2019 a permis d’augmenter le paiement de 3 à 4 heures de nuit pour 8 heures prestées, il n’en reste pas moins insuffisant pour les éducateurs qui avaient déposé un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle. Ce retour a finalement été rejeté en septembre 2021 via l’arrêt n°120/2021. La Ministre Désir annonçait que son administration devait encore analyser les conséquences de cet arrêt.
D’où ces questions :
- Quelles sont les conclusions de votre analyse de l’arrêt n°120/2021? Envisagez-vous de reconsidérer la rémunération des nuits «dormantes» à hauteur de 5 heures, comme c’est le cas en Communauté Germanophone par exemple, et ce alors qu’une procédure est par ailleurs également encore en cours au niveau de la Commission européenne? Le cas échéant, une revalorisation barémique pourrait-elle être envisagée comme solution intermédiaire ?
- Un second problème réside dans l’enchaînement de ces nuits « dormantes » : si le décret précise que le nombre de nuits « dormantes » doit être limité à 3 par semaines, rien n’est précisé en ce qui concerne le nombre de nuit d’affilée prestée par semaine, si ce n’est 2 gardes par semaine et 48 heures de présence (sans tenir compte de l’ensemble des heures prestées sur place, en contradiction avec la jurisprudence pourtant claire de la Cour de justice de l’Union européenne – voy. l’arrêt Jaeger du 9 septembre 2003), mais sur une période de référence extrêmement longue de 10 mois. Que mettez-vous en place afin de remédier à cette situation ? Comment explique-t-on par ailleurs que la limite d’heures prestées successives ne tienne pas compte de l’ensemble des heures prestées la nuit, alors que la Cour de justice de l’Union européenne l’impose expressément ?
- Par ailleurs, les éducateurs absents ne sont remplacés qu’au bout de 10 jours d’absence, ce qui renforce encore la tension sur le terrain et oblige les éducateurs à enchaîner davantage encore d’heures de travail pour remplacer leurs collègues. Au vu de cette situation, entendez-vous diminuer le délai de remplacement d’un éducateur absent ? Quelles solutions alternatives pourraient-être mises en place afin d’éviter une surcharge de travail pour les éducateurs, alors que les élèves sont bel et bien présents sur place et qu’il faut donc les prendre en charge ?
Réponse de la Ministre :
“Depuis le début de cette législature, nous avons été à l’écoute des revendications des éducateurs d’internats de WBE et je les ai reçus à diverses reprises. La question des nuits dormantes revient effectivement souvent sur la table. Rappelons que la volonté du législateur, lorsqu’il a introduit et voté cet amendement en séance plénière du 2 mai 2019, était d’harmoniser le statut de ces gardes dormantes en tenant compte des règles européennes applicables et en s’inspirant de ce qui était applicable en Communauté flamande. Comme vous le précisez, cela a permis une valorisation de quatre heures au lieu de trois du nombre d’heures prestées entre 22h30 et 6h30 du matin et de plafonner le nombre d’heures de présence à l’internat à une moyenne de 48 heures hebdomadaires sur une année scolaire (la « fameuse » période de référence de dix mois).
En réalité, l’arrêt 120/2021 de la Cour Constitutionnelle que vous citez répond en grande partie aux interrogations que vous formulez. D’une part, il constate que les éducateurs d’internat se trouvent dans une situation objectivement différente de celle des autres membres de la fonction publique, et d’autre part, il constate que le calcul des prestations sur une période de référence de dix mois est raisonnablement justifié par l’objectif de « faciliter l’organisation de ces prestations au sein des internats et des homes d’accueil concernés ».
En effet, comme l’a souligné également la Cour de Justice de l’UE (CJUE) dans son ordonnance C-471/20 du 23 avril 2021, rendu sur question préjudicielle dans le cadre du recours d’un éducateur d’internat du libre subventionné : « L’article 17, paragraphe 3, sous b), de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens que l’activité d’un éducateur au sein d’un internat, qui est en charge de la surveillance des élèves internes au cours de la nuit, relève du champ d’application de cette disposition ». En d’autres termes, la CJUE reconnait que le métier d’éducateur d’internat rentre bien dans les catégories de profession pour lesquelles un État membre peut prévoir des dérogations et des exceptions au régime commun (notamment pour le travail de nuit et les périodes de référence à prendre en considération).
L’arrêt Jaëger de la CJUE que vous mentionnez, après avoir constaté que le service de garde exercé en l’espèce constituait dans son intégralité du temps de travail, ne fermait pas la porte à l’application de dispositions dérogatoires dans ses conclusions en interprétant la directive 93/104 en ce sens que : « […] pour pouvoir relever des dispositions dérogatoires énoncées à l’article 17 paragraphe 2, point 2.1, sous c), i), de cette directive, une réduction de la période de repos journalier de 11 heures consécutives par l’accomplissement d’un service de garde qui s’ajoute au temps de travail normal est subordonné à la condition que des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés à des moments qui succèdent immédiatement aux périodes de travail correspondantes. » Cette obligation est désormais expressément visée à l’article 17, §2, de la directive 2003/88 qui a succédé à la directive 93/104, en prévoyant toutefois que « dans des cas exceptionnels dans lesquels l’octroi de telles périodes équivalentes de repos compensateur n’est pas possible pour des raisons objectives, une protection appropriée soit accordée aux travailleurs concernés. »
Dans son arrêt 120/2021, la Cour Constitutionnelle ne dit pas autre chose en soulignant que « les directives 93/104 et 2003/88 ne s’opposent pas à l’application par un État membre d’une réglementation qui, aux fins de la rémunération du travailleur et s’agissant du service de garde effectué par celui-ci sur son lieu de travail, prend en compte de manière différente les périodes au cours desquelles des prestations de travail sont réellement effectuées et celles durant lesquelles aucun travail effectif n’est accompli, pour autant qu’un tel régime assure intégralement l’effet utile des droits conférés aux travailleurs par lesdites directives en vue de la protection efficace de la santé et de la sécurité de ces derniers » et en constatant au surplus que les parties requérantes n’établissent pas concrètement en quoi la disposition attaquée entraînerait pour les éducateurs concernés un recul significatif du degré de protection du droit à une rémunération et à des conditions de travail équitables qui ne pourrait pas être justifié par les motifs d’intérêt général. Nous respectons donc bien le droit communautaire.
Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel la limite d’heures prestées successives ne tiendrait pas compte de l’ensemble des heures prestées la nuit, alors que la CJUE l’imposerait expressément, soulignons que la Cour Constitutionnelle a justement écarté celui-ci dans son arrêt 120/2021, en suivant l’argumentaire déployé par la Communauté française : « B.20. Contrairement à ce que les parties requérantes prétendent, la durée de travail hebdomadaire maximale de 48 heures qui est fixée par la disposition attaquée prend en compte l’ensemble des heures de gardes dormantes prestées. L’article 2, alinéa 3, de l’arrêté royal du 8 avril 1959 « organisant le régime des prestations de surveillants et maîtres d’études des établissements d’enseignement moyen et technique de l’Etat », tel qu’il a été modifié par la disposition attaquée, prévoit en effet explicitement qu’il y a lieu de comptabiliser « toutes les heures de présence du travailleur dans l’internat en ce compris celles entre vingt-deux heures trente et six heures trente » pour calculer cette durée maximale. Par ailleurs, il ressort de l’article 2, alinéa 2, de l’arrêté royal précité, tel qu’il a été modifié par la disposition attaquée, qu’en cas de garde dormante, la prise en compte de quatre heures pour huit heures de présence effective ne vaut que pour la rémunération de ces gardes dormantes.
En ce qu’il allègue que les heures de gardes dormantes ne sont pas intégralement comptabilisées dans le calcul de la durée hebdomadaire de travail, le grief repose sur une prémisse erronée. »
Enfin, les modalités de remplacement des membres du personnel de l’enseignement, en ce compris les éducateurs d’internat, sont nombreuses et varient selon le niveau d’enseignement. Ainsi, dans l’enseignement fondamental, les absences pour causes de maladie ou d’infirmité peuvent faire l’objet d’un remplacement si leur absence atteint au moins six jours ouvrables. Dans l’enseignement secondaire toutefois, cette durée d’absence est effectivement portée à dix jours ouvrables.
Si cette durée a pu progressivement être diminuée dans l’enseignement fondamental, elle n’a, par contre, pas pu faire l’objet d’une même proposition pour l’enseignement secondaire, et ce pour des raisons budgétaires.
Je tiens à rappeler qu’il est toujours possible, pour les éducateurs d’internats de WBE, de faire remonter leurs différentes revendications à leur pouvoir organisateur afin que celui-ci puisse les relayer lors des négociations sectorielles et pendant lesquelles nous pouvons, en fonction des disponibilités budgétaires, répondre à certaines demandes des différents secteurs concernés par ces accords.“