Le groupe de travail mandaté par le CRef et le VLIR et chargé d’analyser la question de la décolonisation au sein de nos universités a récemment rendu et communiqué son rapport final. Ce travail s’inscrit plus largement au sein d’un mouvement positif et progressiste qui vise à comprendre et (re-)contextualiser bon nombre de nos comportements institutionnels et politiques en vue de vivre dans une société plus libre, plus juste, plus tolérante, et qui porte haut les valeurs de la diversité sociale et culturelle.
Ce groupe de travail composé d’une équipe multidisciplinaire a vérifié l’offre d’enseignement, mais aussi tout ce qui s’attache et s’adresse de près comme de loin à la communauté universitaire, en ce compris ses relations extérieures avec la société civile dans son ensemble, via donc des conférences, des ciné-clubs, des expositions, des collaborations avec l’enseignement secondaire ou primaire. Un foisonnement d’initiatives a été constaté et nous nous en réjouissons. Cependant, l’on remarque beaucoup de différences entre facultés. C’est spécifiquement dans les facultés de sciences humaines qu’il y a le plus d’initiatives ; il y a donc une inégalité à l’intérieur même des universités. Il y a un manque criant de systématicité, c’est-à-dire qu’il s’agit souvent d’initiatives prises par un professeur de manière isolée. Il n’y a pas encore de politique vraiment pensée ou de plan général et c’est très regrettable.
Du point de vue de l’enseignement, on retrouve les traces que le colonialisme belge et occidental a laissées sur nos schémas de pensée, de manière probablement involontaire. Nous les retrouvons dans la manière dont on transmet le savoir dans les universités. Le rapport souligne aussi qu’il est primordial que l’offre d’enseignement de l’Histoire couvre la période coloniale de manière systématique, et pas uniquement pour les étudiants en Histoire. Il est aussi important de s’interroger sur la manière dont notre passé colonial influence encore les représentations sociales et culturelles actuelles et les relations inter-culturelles.
Les points évoqués jusqu’ici font sourire les historiens, eux qui sont familiers de l’approche décoloniale depuis des dizaines d’années. Par contre, ce qui est plus difficile à appréhender pour bon nombre d’entre nous, c’est l’application de cette approche afin de tendre à davantage de diversité au sein des corps étudiant, scientifique, académique, technique et administratif des établissements d’enseignement supérieur. Il y a donc des mesures à prendre pour faciliter et enrichir la diversité au sein des universités : au niveau du recrutement et au niveau de la gestion des carrières. La démarche s’étend aussi à l’établissement d’un cadre afin que les étudiants issus des anciennes colonies occidentales se sentent à l’aise et bienvenus dans nos établissements.
D’où ces questions adressées à la Ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny :
- Avez-vous pris connaissance de ce rapport du VLIR-CRef ?
- Quelles conclusions en avez-vous tirées ?
- Quelles démarches avez-vous entreprises afin de répondre aux recommandations émises par les experts dans leur rapport ?
- Une campagne de sensibilisation de votre part et à destination des autorités académiques afin de pallier au manque de diversité au sein des équipes universitaires, des hautes écoles et des ESA est-elle en cours ?
- Quelles démarches avez-vous entreprises afin que les nombreuses équipes de ressources humaines de nos établissements puissent appliquer les recommandations du rapport ?
- Ces équipes sont-elles sensibilisées à l’approche décoloniale ?
Réponse de la Ministre :
“J’ai eu l’occasion de prendre connaissance de ce rapport, et comme vous, je me réjouis de constater que les universités sont déjà très actives dans le domaine du travail d’analyse de notre passé colonial, comme en témoigne d’ailleurs le long inventaire des initiatives prises par les institutions d’enseignement supérieur quant au passé colonial, et ses conséquences.
Je pense qu’il est également intéressant de remarquer que le travail réalisé tant par les auteurs du rapport que par les établissements d’enseignement supérieur dépasse la contextualisation du passé colonial.
La décolonisation est un processus qui doit s’inscrire dans le cursus des étudiants, qui doit être pris en compte par le corps enseignant et les équipes administratives des universités, mais qui ne peut s’y limiter. Les experts ont porté leur attention sur l’enseignement universitaire, mais ce sont tous les niveaux d’enseignement (en ce compris l’enseignement primaire et secondaire) et, plus généralement l’ensemble des institutions belges et leur fonctionnement qui doivent procéder à cet examen.
La commission a réalisé un travail important, mais le travail doit être poursuivi. J’espère que le CREF maintiendra le groupe de travail, qui pourrait monitorer les actions menées et veiller à la mise en œuvre d’une politique inclusive dans les différents établissements.
Comme vous le savez, les différentes entités du pays préparent, en ce moment, le Plan d’action national de lutte contre le racisme. Sans en dévoiler les contenus, puisque ceux-ci sont toujours en discussion, je peux vous informer que la question de l’intensification de la politique de diversité au sein des domaines de l’enseignement et de la formation constitue l’un des objectifs les plus élevés du projet de Plan national de lutte contre le racisme.
Enfin, j’épinglerai une recommandation que je trouve particulièrement intéressante concernant la création d’une chaire ou d’un master en étude postcoloniales. A l’image du master en genre, cette formation permettrait aussi de participer à la lutte contre les discriminations. Je serai bien sûr attentive à toute initiative qui serait prise en ce sens, par exemple, dans le cadre des dépôts de demandes de nouvelles habilitations par les établissements.”
J’insiste sur le travail structurel qu’il convient d’entreprendre, à tous les niveaux afin d’irriguer l’ensemble du monde universitaire pour changer de paradigme.