Depuis plusieurs semaines, la parole se libère à propos des agressions sexistes et sexuelles sur nos campus, à propos du harcèlement dont sont victimes un nombre bien trop élevé de personnes, étudiants, assistants, doctorants, professeurs évoluant au sein de nos établissements. Et chaque semaine apporte son lot de nouvelles sidérantes en provenance de l’enseignement supérieur, démontrant une fois de plus que le harcèlement sexuel, le sexisme et les agressions sont bel et bien des violences d’ordre systémique. Cela concerne tant nos écoles d’art, nos universités et nos hautes écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Les nombreux faits dénoncés sont particulièrement gaves et choquants. Certains se cachent aussi parfois derrière une forme de « zone grise », où les choses ne seraient pas toujours très claires, mais où le ressenti des personnes requérantes doit absolument être pris en compte et ce, dès la première expression de doute, de malaise, d’intimidation.
Les mentalités changent. Récemment encore, une certaine « culture du secret », un « silence organisé » ont été dénoncés par des membres ou anciens membres de l’UCLouvain. Le vice-recteur aux affaires du personnel le regrette aujourd’hui et admet l’erreur d’hier. Le recteur de l’UCL a même présenté ses excuses la semaine dernière. Il est grand temps et il est de notre devoir de répondre à ce fléau qui gangrène nos relations sociales au travail et dans les études.
Nous l’avons déjà répété et nous sommes, à cet égard, défendeurs des mêmes valeurs : cette situation est intolérable. En octobre, nous avons aussi adopté une résolution particulièrement ambitieuse visant à prévenir et lutter contre le harcèlement des étudiantes et des étudiants dans les établissements d’enseignement supérieur.
La Ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny, a par ailleurs pris des premières mesures importantes via une circulaire adressée aux établissements en septembre dernier et en débloquant un budget permettant de mener une étude sur le phénomène en Fédération Wallonie-Bruxelles.
D’où ces questions :
- Madame la Ministre, pourriez-vous nous donner des détails sur le lancement de cette étude ?
- Quand débutera-t-elle ?
- Qui s’en chargera ?
- Quels publics seront étudiés ?
- Quelle seront les méthodes utilisées ?
- Quand pouvons-nous espérer entendre les premiers résultats d’analyses ?
Cette étude, c’est un premier pas, et il est important. Mais il faut évidemment aller beaucoup plus loin : les établissements sont demandeurs de structures, de procédures, de formations, d’encadrement.
Madame la Ministre, comme l’ARES et UNIA, nous pensons qu’un changement d’ordre législatif s’impose.
- Où en est la mise en œuvre de ce changement prévu par la résolution ? Un vrai changement nécessaire, afin que tous les acteurs de l’enseignement supérieur puissent bénéficier des mêmes aides, des aides enfin appropriées, face au harcèlement, au sexisme et aux violences sexuelles.
Réponse de la Ministre :
“Le harcèlement et les violences sexistes n’ont pas leur place dans l’enseignement supérieur. Je n’ai malheureusement pas pu prendre connaissance du mémoire de master en arts du spectacle réalisé par l’étudiante de l’IAD. Je ne manquerai pas de le faire dès sa réception.En collaboration avec mon administration, mon équipe établit un cahier des charges qui permettra le lancement d’un marché public visant la réalisation d’une étude sur les questions de harcèlement ou de violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles. La Direction de l’égalité des chances, le service d’évaluation des politiques publiques, Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances et l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) sont également associés à l’élaboration de ce cahier des charges. Un comité de pilotage, constitué de leurs représentants, accompagnera les travaux tout au long de la réalisation de l’étude. À ce stade, les publics étudiés seront tant les étudiants que les membres du personnel, qu’ils soient académiques, scientifiques, administratifs ou techniques. Suivant le calendrier établi, et en respectant les différentes étapes ou consultations propres à la législation relative aux marchés publics, nous espérons pouvoir lancer le marché fin juillet et opérer l’attribution du marché début novembre. Si l’ensemble des délais sont respectés par les opérateurs sélectionnés, l’étude pourra être finalisée fin décembre2023.
Monsieur le Député, vous pensez qu’un changement d’ordre législatif s’impose. Je pense pour ma part que les outils efficaces existent, mais qu’ils ne sont pas suffisamment exploités par les acteurs et qu’une politique sérieuse en la matière doit s’appuyer sur une évaluation préalable des dispositifs existants. La circulaire 8256 «Prévention et lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles au sein des établissements d’enseignement supérieur et de promotion sociale», émise bien avant les événements, le 13 septembre dernier, rappelle ces dispositifs et le gouverne-ment a approuvé en première lecture, le 11mars dernier, l’inscription de la lutte contre les discriminations, du harcèlement et des violences dans l’enseignement supérieur dans le décret du 7 novembre 2013 définissant le paysage de l’enseigne-ment supérieur et l’organisation académique des études (décret «Paysage»). Il s’agit de préciser que les établissements d’enseignement supérieur s’inscrivent pleinement en faveur de la lutte contre les discriminations, le harcèlement et les violences de quelque forme ou de quelque nature que ce soit.
Comme le précisait déjà la circulaire, cet engagement devra se concrétiser par une mention explicite dans les textes définissant la politique éducative, le règlement des études et figurer sur le site internet de l’établissement. Il devra apparaître clairement dans le règlement des études. Les établissements d’enseignement supérieur devront assurer des missions d’information, de prévention, de sensibilisation et de formation. Ils seront tenus d’informer adéquatement les étudiants et leurs personnels des dispositifs, services d’aide et de la législation en faveur de la lutte contre les discriminations, le harcèlement et les violences. Ils auront l’obligation de désigner un point de contact au sein de l’établissement qui devra référencer les victimes vers tous les mécanismes de soutien d’aide qui peuvent exister et, en particulier, les aiguiller vers un traitement de la plainte extérieur à l’établissement, puisque nous savons qu’il peut exister une forme d’entre-soi qui peut mener à l’étouffement de certaines affaires. Les victimes pourraient consulter des services externes et indépendants qui existent déjà,tels qu’Unia, le Centre inter-fédéral pour l’égalité des chances ou encore l’IEFH.
Il s’agira aussi de prévenir en sensibilisant les membres du personnel et la communauté étudiante en assurant des actions spécifiques et enfin, veiller à l’organisation de formation destinée aux membres du personnel et de la communauté étudiante.L’étude qui sera réalisée visera à objectiver et dresser un état des lieux des situations de harcèlement et de violences dans l’enseignement supérieur et des dispositifs internes existants au sein des établissements. Elle devra également évaluer l’efficacité de ces dispositifs, y compris la mise en œuvre de la circulaire par les établissements de l’enseignement supérieur ou de promotion sociale. C’est sur la base des résultats de cette étude que nous travaillerons à la mise en place d’éventuels dispositifs complémentaires. Puisque nous évoquions l’IAD, je rappelle que nous avons lancé un appel à projets pour les ESA, doté de 50000 euros, pour traiter de la question.”
Je me réjouis que l’étude soit prochainement lancée et que nous progressions sur sa conception, en concertation avec les acteurs du secteur. Il est important que l’analyse porte sur tout l’enseignement supérieur, sur tous les établissements, sur tous les acteurs et sur tous les types de harcèlement, sexuel ou moral. Nous devons nous inscrire dans une logique de veille dans le temps pour mesurer l’évolution de la situation et adapter les politiques.
L’enjeu du cadre légal sera que chaque étudiant, quels que soient son établissement et sa situation de harcèlement, soit traité de la même manière. Le cadre légal actuel ne le permet pas puisqu’il ne vise que les situations de discrimination et n’impose pas à chaque établissement d’établir des procédures. J’entends que des mesures sont en réflexion. Nous les analyserons.
Toutefois, Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances demande une évolution du cadre légal. La semaine passée, lors d’une table ronde à laquelle je participais, le vice-recteur aux affaires étudiantes de l’Université libre de Bruxelles (ULB) plaidait lui aussi pour faire évoluer le système, en expliquant que les établissements sont démunis par rapport à la problématique du harcèlement et aux suites à y apporter quand des plaintes leur sont rapportées. J’invite donc la Ministre à vraiment travailler sur cette question.