Mettre la lutte climatique et sociale au coeur de l’enseignement supérieur

L’urgence climatique est là et nous la vivons désormais toutes et tous très directement (inondations, sécheresse, feux, vagues de chaleur à répétition, impact sur les cultures, impact sur la santé, etc). Les étudiants la vivent eux aussi, ils sont inquiets, anxieux même pour bon nombre d’entre eux. La réponse et les efforts doivent être concrets, collectifs, rassembleurs, courageux et à la hauteur des enjeux.

L’enseignement supérieur se situe sur plusieurs temporalités à ce sujet : à la fois le court terme, mais aussi sur le moyen et le long terme. L’enseignement supérieur et la recherche doivent en effet s’inscrire dans une perspective de changement sociétal collectif, et la Fédération Wallonie-Bruxelles possède plusieurs leviers non négligeables pour aider à y répondre.

L’interview de la Rectrice de l’ULB, Annemie Schaus, la semaine dernière était à cet égard particulièrement inspirante. Elle plaide en effet pour une approche transversale et inclusive du développement durable, convaincue du rôle de l’université pour préparer la société à relever ces défis immenses. Et ce, dans l’ensemble des disciplines enseignées, en axant tous les cours de toutes les facultés sur les enjeux du développement durable au sens large, en ce compris la justice sociale, l’égalité homme-femme, le bien-être…

Cela fait notamment écho à ce affirmait l’ARES il y a quelques mois dans son avis à propos de l’avant-projet de décret organisant une coordination et un renforcement des actions de la Communauté française en faveur d’une transition écologique. Elle insistait sur la nécessité d’une vision holistique de la question, relavant l’importance de sensibiliser l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur à la transition vers un monde plus durable et de définir des objectifs précis en termes d’éducation, de formation et de sensibilisation.

Des missions claires sont donc à mettre en place dans le cadre des compétences de la FWB que sont l’enseignement et la recherche, et ce, pour l’ensemble des établissements. Et là, la FWB a un rôle important à jouer !

Mais elle peut aussi, dans le respect de la liberté académique, travailler sur une révision des programmes d’études et des cursus. L’AEQES pourrait ici être mobilisée, de même qu’une plus grande et proactive sensibilisation des autorités académiques et des chercheurs. Beaucoup d’étudiants souhaitent recevoir une formation qui leur permettront de répondre aux questions urgentes auxquelles cette nouvelle crise les confrontent aujourd’hui.

D’où ces questions adressées à la Ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny :

  • Madame la Ministre, de nombreux membres des corps scientifiques et académiques souhaitent eux aussi poursuivre dans cette voie, nouer des collaborations nationales et internationales, mais dans quelle mesure sont-ils assez outillés ? Qu’est-ce qui est mis en place pour cela ? Disposent-ils par exemple d’assez de temps pour remanier leurs cours ?
  • Au-delà des appels à projets, des mesures d’ordre systémique sont-elles prévues afin d’accompagner et d’inciter les établissements d’enseignement supérieur à développer des stratégies de développement durable ? Une logique interdisciplinaire plus systématique se développe-t-elle dans l’ensemble de nos établissements ?
  • Pourriez-vous enfin faire le point sur les réflexions en cours au sein de l’ARES en ce qui concerne la mise en œuvre du Plan transversal de transition écologique de la Fédération Wallonie-Bruxelles ?

Réponse de la Ministre :

La contribution des établissements d’enseignement supérieur est essentielle, car elle nous permettra d’assumer les changements devant être mis en œuvre pour notre société, dans la manière dont nous habitons, traitons et partageons le monde. Il s’agit de prendre en compte des enjeux complexes: à court terme, une action rapide et efficace sur l’empreinte environnementale des établissements et des pratiques en usage; à long terme, la formation des intelligences, des sensibilités et des compétences, qui sont le champ d’intervention spécifique des établissements d’enseignement supérieur.

C’est la perspective dans laquelle nous voulons soutenir autant que possible nos établissements. Ceux-ci ont désormais tous intégré les questions relatives au développement durable et à la transition écologique, dans trois axes: d’abord, il convient de rénover les bâtiments pour atteindre les objectifs de réduction des dépenses énergétiques et de la production de CO2 fixées par les instances européennes et belges; ensuite, il est essentiel d’intégrer cette dimension durable à l’ensemble des programmes d’enseignement; enfin, il s’agit de soutenir en priorité les programmes de recherche interdisciplinaire sur les enjeux de la transition écologique.

Les différents discours prononcés à l’occasion des rentrées académiques témoignent de ces priorités. C’était le cas lors des rentrées académiques de l’Université libre de Bruxelles (ULB), de l’Université catholique de Louvain (UCLouvain), de l’Université de Liège (ULiège) et de l’ensemble des hautes écoles.

Il importe de soutenir l’effort sur chacun de ces trois axes: je souligne d’abord l’important soutien du Gouvernement pour l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments d’enseignement. En effet, le Gouvernement prévoit de grandes initiatives et des investissements importants. Je pense aux priorités de mon collègue le Ministre Frédéric Daerden pour les bâtiments scolaires, dont une partie bénéficiera à l’enseignement supérieur non universitaire et à l’enseignement de promotion sociale (EPS). Je songe également aux priorités définies dans le cadre de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR), notamment pour les infrastructures universitaires; l’enveloppe correspond à 35 millions d’euros. En ce qui concerne l’enseignement supérieur non universitaire, le montant est de 200 millions d’euros. Ces montants sont non négligeables.

Je me dois de mentionner le choix du Gouvernement, malgré le contexte budgétaire actuel, d’investir sur une période de dix ans dans la construction et la rénovation de bâtiments scolaires. Sont compris les bâtiments de l’enseignement supérieur non universitaire et de l’EPS. Il faut y ajouter la décision du Gouvernement d’augmenter de manière structurelle le financement des universités consacrées à leurs infrastructures.

Je mentionnerai également les projets de recherche communs, avec un budget de 23 millions d’euros, dans le cadre du Plan de relance européen pour la plateforme de recherche sur la transition énergétique. Ces montants sont mis à disposition de nos établissements d’enseignement supérieur.

De plus, il est important de souligner la contribution des établissements d’enseignement supérieur à la prise en compte de ces défis dans chacune de ses missions spécifiques, à savoir le service à la collectivité, l’enseignement et la recherche.

Une enquête a été menée sur les besoins des établissements d’enseignement supérieur en matière de mise en œuvre de démarches institutionnelles de développement durable. Réalisée en 2021-‑2022, elle a mis en évidence un vécu très différent selon les établissements ; pour certains, il est devenu nécessaire de développer une véritable stratégie en termes de développement durable.

En ce qui concerne la commission «Développement durable» de l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES), les travaux au sein de cette commission ainsi que l’enquête susmentionnées montrent qu’il faut accorder une attention soutenue au partage des ressources et des bonnes pratiques, notamment dans le cadre des cours, à la centralisation des différents outils déjà disponibles au niveau national et international, mais aussi au partage de toutes les initiatives en la matière. À cet égard, la mutualisation des connaissances et des ressources permet de gagner du temps et de ne pas refaire les mêmes recherches de façon isolée au sein d’un établissement d’enseignement supérieur, voire parfois d’une faculté ou d’un département. L’accès des enseignants à une structure centralisant les informations et ressources en la matière est d’ailleurs un projet sur lequel se penchent actuellement les établissements d’enseignement supérieur et la commission «Développement durable» de l’ARES.

Dans leurs pratiques concrètes d’enseignement, beaucoup d’enseignants et d’équipes développent des projets interdisciplinaires qui mobilisent, au regard de situations complexes, les différents savoirs et compétences. Il existe aussi des initiatives structurées en la matière pour enseigner la transition écologique. Par exemple, le réseau Profs en transition regroupe des représentants de dix hautes écoles. Un autre exemple est le consortium de partage en économie durable qui regroupe les représentants de cinq universités et huit hautes écoles. Par ailleurs, prochainement, l’ARES mettra en ligne des fiches de bonnes pratiques issues des projets liés aux appels annuels.

Ces initiatives ont toutes été financées par l’appel à projets annuel de la commission «Développement durable». Cette commission a entamé une réflexion pour déterminer comment pérenniser de tels projets ou permettre un accès libre aux informations relatives à l’intégration du développement durable dans l’enseignement, et ce, pour tous les domaines de formation de l’enseignement supérieur.

Le 28 novembre prochain se déroulera l’événement annuel de partage des pratiques: il abordera la mutualisation des ressources et expériences, en plus du partage autour des projets sélectionnés et réalisés en 2021‑2022.

J’aimerais aussi revenir plus précisément sur l’appel à projets annuel. En effet, pour l’appel à projets 2023, le montant dédié a été porté à 280 000 euros, au lieu des 200 000 euros. Cette augmentation a été décidée afin d’ajouter un volet spécifique destiné à répondre aux besoins exprimés par les établissements d’enseignement supérieur pour un encadrement méthodologique. L’objectif est de mener de véritables démarches de développement durable. La réunion de lancement de projet aura lieu ce lundi 3 octobre à l’ARES. En cette occasion sera présentée l’enquête sur les besoins des établissements d’enseignement supérieur, ainsi que le document que le conseil d’administration de l’ARES a validé le 30 juin 2022 et qui servira à l’élaboration d’une charte d’engagement en matière de développement durable. Les informations sur cet événement sont disponibles sur le site internet de l’ARES. Je vois dans la tenue de cet événement un témoignage supplémentaire de la dynamique qui anime actuellement l’enseignement supérieur.

Concernant les réflexions encore en cours au sein de l’ARES, son administration et sa commission «Développement durable» ont pris une part active aux travaux et échanges sur l’élaboration de fiches actions liées au plan transversal de transition écologique. Ce point a aussi été inscrit à l’ordre du jour de toutes les réunions de la commission pour les mois de mars et de mai, mais également à l’occasion de celle du 29 août 2022.

L’analyse de ces questions a conduit à la création pour l’année académique 2022‑2023 de quatre groupes de travail au sein de la commission. L’ARES s’est également approprié le Plan transversal de transition écologique: à la fin du mois de juin 2022, il a instauré un comité de pilotage «ARES – Développement durable – administration». Ce comité est composé de membres du personnel issus des huit services de l’administration de l’ARES et compte dix membres. Il analyse actuellement le Plan transversal de transition écologique et la prochaine journée du personnel de l’ARES aura pour objet la co-construction du plan stratégique de l’ARES en matière de développement durable.

L’ARES s’est saisi non seulement du Plan transversal de transition écologique, mais aussi des objectifs vers lesquels il faut tendre à l’avenir pour une société plus durable. Ce faisant, elle répond à la demande globale tant des établissements que des étudiants.

Pour répondre aux questions soulevées par le développement durable, comment pourrait-on nier la nécessité de mobiliser toutes les disciplines scientifiques afin de comprendre le monde dans lequel nous vivons et afin d’analyser de la manière dont nous habitons ce monde? C’est évidemment une question essentielle, dont il faut tenir compte tant dans les programmes de formation que dans les orientations de la recherche et dans les moyens accordés à cette dernière.