Une application anticipée surprise du décret « paysage » qui n’est pas acceptable

De nombreux étudiants de la faculté de droit de l’ULiège sont en colère. Ceux qui n’ont pas obtenu 45 crédits ont en effet appris qu’ils étaient condamnés à rester en bloc 1, mais sans pouvoir anticiper le moindre cours de bloc 2. En cause, d’après ce qu’on leur a dit : une décision unilatérale et générale du jury de leur appliquer de manière anticipée la réforme du décret paysage.

Les règles du jeu étaient pourtant claires : la réforme du décret paysage ne devait concerner que les nouveaux inscrits à partir de cette année académique. C’est ce qui a toujours été répété aux étudiants. Et puis sans prévenir, la fac de droit de Liège décide unilatéralement de changer ces règles en cours de route, sans laisser la moindre possibilité d’exception.

Selon leurs explications, l’idée serait d’influencer les comportements des étudiants de droit et de changer leurs stratégies. Il est toutefois assez particulier de vouloir influencer les stratégies des étudiants sans les prévenir, une fois qu’il est trop tard pour qu’ils s’adaptent. Cela n’a tout simplement aucun sens.

Si les étudiants de droit avaient été informés suffisamment en amont de ces règles différentes, ils auraient évidemment agi autrement. Mais ici, cela veut dire que, faute d’avoir pu anticiper, certains étudiants se retrouvent avec moins de 20 crédits à suivre cette année académique, soit un cours et demi par quadrimestre.

Il y a là une réelle incompréhension, et les étudiants se posent légitimement beaucoup de questions face à un jury qui refuserait apparemment d’examiner leur situation de manière individuelle.

D’où ces questions à la Ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny :

  • On parle d’au moins une trentaine d’étudiants de droit, mais combien d’étudiants sont concernés au total en FWB ?
  • La faculté de droit de Liège est-elle la seule à agir ainsi ?
  • Comment justifier une telle décision unilatérale sans aucun avertissement préalable ?
  • Est-ce légal ou à tout le moins conforme au principe de sécurité juridique ?
  • Quel est l’impact sur l’application de l’ensemble des autres règles du décret paysage ?

Réponse de la Ministre :

Avant toute chose, j’aimerais clarifier un élément pour éviter toute confusion: la réforme du décret «Paysage» ne modifie aucunement les règles concernant la possibilité, pour les étudiants de première année de bachelier ayant acquis entre 30 et 44 crédits du bloc 1, d’anticiper des crédits. Pour ces étudiants, l’anticipation des unités d’enseignement de la suite du cycle n’est pas un droit, mais bien une possibilité qui relève d’un accord du jury. En effet, l’article 100, § 1 er , alinéa 3 de l’ancienne version du décret prévoyait que les étudiants ayant acquis ou valorisé au moins 30 crédits, mais moins que 45, pouvaient compléter leur programme annuel d’unités d’enseignement de la suite du programme du cycle, moyennant l’accord du jury. L’accord du jury était et reste donc nécessaire pour permettre aux étudiants de première année de premier cycle n’ayant pas acquis ou valorisé au moins 45 crédits d’anticiper des unités d’enseignement de la suite du cycle.

Monsieur le Député, la situation que vous évoquez n’est donc pas une conséquence de la réforme du décret «Paysage». Elle relève d’un changement de jurisprudence du jury de la faculté de droit de l’ULiège. Pour ce qui concerne les autres facultés ou établissements d’enseignement supérieur, les commissaires et délégués du gouvernement ont été contactés: il ne semble pas que d’autres jurys auraient changé leur jurisprudence. La situation qui nous occupe est donc spécifique à la faculté de droit de l’ULiège.

Avertis par plusieurs étudiants de ce que le jury aurait pris une décision générale de refuser toute anticipation de crédits, mes services ont pris contact avec le commissaire du gouvernement auprès de l’ULiège et de sa rectrice afin d’obtenir des compléments d’information et de voir quelles suites l’université envisage, compte tenu des conséquences d’une telle décision de principe sur le parcours de certains étudiants. Il s’agissait également de vérifier que le jury a bien traité de la même manière tous les étudiants dans la même situation et que ceux-ci étaient bien informés.

Le commissaire du gouvernement m’a confirmé que la faculté de droit, de sciences politiques et de criminologie de l’ULiège a décidé de ne pas répondre favorablement aux demandes des étudiants qui n’ont pas acquis ou valorisé 30 à 44 crédits du bloc 1 de la première année de premier cycle. Le doyen de la faculté a justifié ce choix par le constat des faibles résultats des étudiants des années académiques précédentes qui avaient pu compléter leur cursus de bloc 1 par des unités d’enseignement de la suite du cycle. Il a constaté que dans la situation acceptée antérieurement, les étudiants se concentraient sur les unités d’enseignement de la suite du cycle au détriment des celles du bloc 1. À ce jour, je n’ai pas reçu d’informations émanant de la rectrice.

Concernant la prévisibilité de la décision prise par un jury, un tel changement radical de jurisprudence sans information préalable des étudiants pose effectivement question. Je ne manquerai pas de le rappeler aux autorités académiques. Cela étant, la réaction des étudiants indique que la réforme portée par le gouvernement et adoptée par le Parlement a tout son sens. En effet, les étudiants disent que s’ils avaient su, ils auraient agi autrement. Cela démontre que les étudiants ont tendance à adopter des stratégies d’adaptation au cadre existant; c’est bien la raison pour laquelle nous avons souhaité modifier ce cadre, rappeler la notion de réussite à 60 crédits et simplifier les règles de financement pour leur permettre de mieux anticiper les comportements à adopter. C’est aussi pour cela que les règles de financement font l’objet d’une période transitoire pour les étudiants en cours de cycle afin qu’ils puissent adapter leur comportement aux nouvelles règles. C’est encore la raison pour laquelle nous avons également accompagné cette réforme d’une vaste campagne de communication avec de nombreuses explications et des capsules vidéo pédagogiques disponibles sur le site www.mesetudes.be/decret-paysage.

Contrairement à ce que j’ai pu lire, il ne s’agit évidemment pas d’une réforme qui va exclure certains étudiants de l’enseignement supérieur. Au contraire, elle va les aider à identifier les priorités d’apprentissage, surtout au début de leur parcours, et à évaluer rapidement s’ils sont sur une trajectoire de réussite. Si ce n’est pas le cas, la réforme doit leur permettre de faire appel aux aides à la réussite que les établissements mettent à leur disposition, pour lesquelles nous avons accru le budget structurel de six millions d’euros, ou de se réorienter pour éviter des déconvenues bien plus tard, comme c’est trop souvent le cas avec le décret actuel.”

Cela confirme qu’il ne s’agit pas ici de remettre en question le bien-fondé ou non de la réforme, puisque la décision prise par le jury de l’ULiège repose manifestement sur l’ancien texte, même si les justifications transmises aux étudiants évoquent une application anticipée de la réforme.

La décision prise par le jury est néanmoins problématique en ce qu’elle est générale, sans aucun examen individuel des situations des étudiants. Cela n’avait jamais été le cas auparavant. Non seulement les étudiants sont pris par surprise, au détriment de toute sécurité juridique, mais en plus, la décision est tout à fait discriminatoire par rapport aux autres facultés et universités, puisque cette faculté est la seule à agir de la sorte.

C’est tout à fait contraire à l’esprit du décret «Paysage», l’ancien comme le nouveau, qui prévoit une analyse individuelle des situations. La Ministre a rappelé cette règle au jury et, en somme, elle a reçu une fin de non-recevoir par l’intermédiaire du commissaire de gouvernement. C’est un grave problème. Une analyse individuelle de chaque situation est indispensable.

Les étudiants concernés sont pris au piège sans la moindre prévisibilité. J’entends que l’idée est de pousser les étudiants à changer de comportement, mais comment peut-on espérer un changement d’attitude si on ne les prévient pas avant de changer les règles du jeu ? Cela n’a aucun sens. Nous ne pouvons pas reprocher aux étudiants d’adopter des stratégies en fonction des règles en vigueur au moment où ils commencent leur année.

Je compte sur la Ministre pour faire respecter la lettre et l’esprit du décret, dans l’intérêt des étudiants. Je ne manquerai pas de revenir sur ce sujet dans quelques semaines. J’espère que nous trouverons une solution pour ces étudiants.