Des repas sains pour (quasi) rien : un moyen de lutter contre la précarité étudiante

Ces dernières semaines, plusieurs chiffres marquants ont à nouveau mis en lumière la précarité grandissante à laquelle sont confrontés nos étudiants en Fédération Wallonie-Bruxelles.

On savait déjà qu’un étudiant sur trois se trouvait en situation de précarité. Il s’agissait des chiffres de l’étude BDO réalisée avant la crise Covid.

Depuis lors, la situation s’est encore manifestement largement aggravée au fil des crises successives : covid, guerre en Ukraine, inflation et crise énergétique…

Selon les derniers chiffres publiés, le nombre d’étudiants bénéficiaires du revenu d’intégration a tout simplement explosé. On est ainsi passé de 9.000 étudiants bénéficiaires du revenu d’intégration sociale en 2007 à 25.000 en 2022. Entre septembre 2018 et septembre 2022, le nombre d’étudiants bénéficiant d’un revenu d’intégration sociale a progressé de 20 % (et ce chiffre ne peut pas uniquement être attribué à l’augmentation du nombre d’étudiants).

Avec l’inflation, le coût de la vie et des études a fortement augmenté.

La FEF estime ainsi qu’une année d’étude pour un étudiant kotteur est désormais passé de 10.293 euros en moyenne à 12.269 euros et de 3.758 euros à 4.671 euros pour un étudiant effectuant les déplacements. Face à ces augmentations, les étudiants se retrouvent en difficulté pour payer leur alimentation, leur logement, leurs déplacements ou encore leurs supports de cours. Ils doivent faire des choix entre se nourrir et se chauffer, ou se soigner. C’est tout simplement intolérable.

La FEF propose une solution concrète, parmi d’autres, pour répondre aux besoins alimentaires : des repas à 1 ou 2 euros disponibles au sein des établissements, ce qui permettrait à un grand nombre d’étudiants précarisés de se nourrir à bas prix.

Cette revendication s’inscrit d’ailleurs dans le sens des recommandations de notre résolution interparlementaire de lutte contre la précarité étudiante, qui prévoyait explicitement la fourniture de repas de qualité à prix coûtant, organisée à l’échelle des pôles académiques.

Les établissements partagent l’avis selon lequel une action concrète en la matière est importante pour subvenir aux besoins alimentaires des étudiants. Cependant, ils soulignent que leurs services sociaux manquent de budget pour arriver à vendre des repas à 1 ou 2 euros.

D’où ces questions à Valérie Glatigny, Ministre de l’Enseignement supérieur :

  • Madame la Ministre, avez-vous déjà étudié cette proposition des repas à 1 ou 2 euros, à l’image de ce qui s’est fait en France pendant le Covid ? A l’image aussi de ce qui se fait à l’ULB pour 2€. Avez-vous établi une estimation budgétaire d’une telle mesure ? Travaillez-vous à sa mise en place ?
  • On sait par ailleurs que vous travaillez à une réforme des allocations d’études pour en élargir les bénéficiaires et les montants. Où en est cette réforme ?
  • Enfin, en novembre dernier vous aviez lancé un appel aux différents ministres dont les compétences concernent la précarité étudiante. Qu’a donné cet appel ? Vu l’explosion de la précarité étudiante, une réunion interministérielle sur le sujet est-elle programmée ?

Réponse de la Ministre :

“L’ensemble des niveaux de pouvoir ont un réel rôle à jouer pour répondre aux défis auxquels font face les étudiants. Dans le contexte d’une démocratisation massive – parfaitement bienvenue – de l’enseignement supérieur, ce dernier a connu une arrivée importante de nouveaux étudiants aux profils socio- économiques très divers.

En avril 2021, l’ARES a rendu un avis en vue de lutter contre la précarité étudiante. Elle y souligne le rôle à remplir par l’ensemble des niveaux de pouvoir en affirmant que: «Les mesures qui pourraient être suggérées dépassent les seules compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles et mettent en évidence le fait qu’il y a différents niveaux de pouvoir (FWB, régions et fédéral) qui devraient intervenir pour lutter efficacement contre la précarité étudiante, chacun dans les compétences qui lui sont propres». La résolution interparlementaire du 30 juin 2021 visant à lutter contre la précarité étudiante et à améliorer les conditions de vie des étudiants, adoptée conjointement par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le Parlement de Wallonie, l’Assemblée de la Commission communautaire française (COCOF) ainsi qu’une délégation du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, le démontre également.

Avant d’être des étudiants, nos jeunes sont des citoyens qui font face, comme l’ensemble de la population, à une situation difficile due aux crises à répétition. Il est crucial qu’ils puissent poursuivre sereinement leurs études, et cela passe par un engagement fort de tous les niveaux de pouvoir comme cela a été le cas depuis le début de mon mandat pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est la raison même de l’appel que j’ai lancé à plusieurs de mes collègues et dont je vous ai déjà fait part.

Tous les ministres et secrétaires d’État sollicités n’ont pas encore répondu à cet appel, mais certains m’ont informée avoir pris des mesures très intéressantes. Certains ont facilité l’accès au logement et augmenté l’offre de logements étudiants, alors que d’autres ont réagi en adoptant la quasi-gratuité des transports en commun ou en débloquant des montants importants à destination des jeunes durant la période de la Covid, par l’intermédiaire des CPAS. Je les en remercie.

Je ne peux que vous inviter à solliciter les représentants de vos différents partis pour qu’ils poursuivent les efforts en ce sens et pour que nous adoptions des mesures effectives au bénéfice de nos étudiants et de leur avenir. Si cette thématique émarge des demandes des jeunes dans le cadre de la conférence interministérielle (CIM) Jeunesse, la question sera évidemment traitée avec nos partenaires du gouvernement fédéral et des autres entités fédérées.

Messieurs Beugnies et Demeuse, concernant les demandes de repas à un euro, comme le précise l’article de presse auquel vous faites référence, la politique relative aux restaurants et cantines universitaires est propre à chaque établissement. Les établissements peuvent utiliser les budgets des subventions sociales qui leur sont allouées par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour prévoir des mesures spécifiques. Ces politiques sont menées en interne et en concertation avec les étudiants, qui peuvent ainsi contribuer à déterminer les mesures prioritaires en fonction des réalités concrètes de la population étudiante et de ses spécificités. Les établissements universitaires peuvent donc tout à fait décider de mettre l’accent sur cette problématique.

Dans son avis rendu en 2021, l’ARES souligne qu’il est essentiel de préserver l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur afin de garantir flexibilité et souplesse dans la création de dispositifs appropriés pour lutter contre la précarité étudiante. L’ARES précise également qu’il est fondamental de faire confiance aux institutions et à leurs membres du personnel pour résoudre au mieux les difficultés. En effet, ce sont eux qui les appréhendent de façon concrète et en concertation. Ils sont par ailleurs proches des étudiants.

Les universités, hautes écoles et écoles supérieures des arts (ESA) disposent pour ce faire des budgets alloués dans le cadre des subsides sociaux. Ces subsides, qui s’élevaient à 58 millions d’euros en 2021, sont passés à plus de 70 millions d’euros en 2022 grâce à l’alignement complet des montants octroyés par étudiant pour les hautes écoles et les ESA sur ceux des universités. En 2023, la tendance se poursuit, puisque le budget des subventions sociales sera porté à plus de 79 millions d’euros.

Les étudiants sont associés à toutes les politiques en matière de lutte contre la précarité menées par les établissements, puisque des représentants d’étudiants siègent au sein des conseils sociaux. Je vous invite à contacter les étudiants qui y siègent pour leur conseiller de fixer leurs priorités en ce sens, car ils ont bien une marge de manœuvre.

Par ailleurs, il revient en outre aux pôles académiques d’offrir des services collectifs au personnel et aux étudiants, comme des bibliothèques et des salles d’étude, notamment, ou encore des restaurants et lieux conviviaux. Pour cette raison, dans le cadre de la campagne «Aides-études.be», les pôles hennuyer, bruxellois et louvaniste ont recensé les différents restaurants universitaires et sociaux ainsi que les épiceries solidaires accessibles aux étudiants. Ils ont mis ces informations à la disposition de ces derniers.

Concernant la coordination et la coopération entre les CPAS et les services sociaux des établissements, la Fédération des CPAS et l’ARES ont émis diverses recommandations en ce sens au mois d’octobre dernier. Elles proposent d’organiser une rencontre annuelle entre les services des CPAS et les services sociaux des établissements d’enseignement supérieur – réunion à laquelle j’ai déjà assisté pour ma part –, mais aussi de préciser les règles générales d’application tant par les CPAS que par les établissements, et d’identifier et de publier les bonnes pratiques dans la gestion des demandes.

Aussi, et comme j’ai déjà pu l’indiquer en séance plénière le 1er mars dernier, il me semble important d’être vigilant dans les chiffres que l’on relaie. Ici, par exemple, le chiffre de 25 000 étudiants bénéficiant d’une aide des CPAS est à mettre non seulement à l’échelle de la Belgique, mais aussi à l’échelle de l’ensemble de l’enseignement (obligatoire et supérieur), puisque ce chiffre concerne pour moitié des jeunes inscrits dans l’enseignement secondaire.

Afin d’être encore mieux informée de la situation des étudiants et de l’efficacité des mesures d’aide instaurées par la Fédération, j’ai déjà pu vous informer de la décision prise par le gouvernement au mois d’octobre dernier de réaliser une revue des dépenses des subsides sociaux octroyés aux établissements d’enseignement supérieur. Nous avons débuté ces travaux qui visent une meilleure efficience de nos moyens au profit des étudiants.

Enfin, en ce qui concerne la réforme des allocations d’études, nous poursuivons nos travaux sur la base des propositions du Conseil supérieur des allocations et prêts d’études (CSAE), et de l’étude économique qui a été confiée à l’Université de Namur (UNamur). Notre objectif est d’atterrir au 1er juillet 2024.

Nous n’avons pas été contactés concernant les difficultés rencontrées par des étudiants internationaux non ressortissants de l’Union européenne dans le cadre de l’obtention d’une autorisation de résidence, mais si de telles difficultés existent, je vous rappelle que cette question relève des compétences fédérales et que, bien sûr, nous travaillons conjointement avec ces dernières.”

Le défi essentiel est effectivement le maintien et le renforcement de l’accessibilité à l’enseignement supérieur. Au-delà des débats sur l’interprétation des chiffres, la tendance est très claire : la précarité des étudiants est en augmentation. Outre les mesures déjà prises dans une série de matières, notamment la mobilité, j’espère que la Ministre convoquera rapidement une conférence interministérielle (CIM) pour sensibiliser l’ensemble des ministres compétents.

La Ministre a rappelé certaines des mesures qu’il est également possible de prendre au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Proposer des repas au prix d’un ou deux euros est une mesure idéale, simple et efficace pour lutter contre la précarité. Elle fait d’ailleurs partie des recommandations contenues dans la proposition de résolution interparlementaire du 30 juin 2021 visant à lutter contre la précarité étudiante et à améliorer les conditions de vie des étudiants. L’ULB l’a adoptée et démontre ainsi la praticabilité de la mesure. J’estime qu’il faut en faire une priorité : manger au moins un repas sain par jour est une clé de la réussite et a de nombreux impacts positifs.

Si cette mesure relève clairement de la responsabilité des établissements, nous pouvons mettre en œuvre une dynamique en donnant une impulsion au niveau des pôles académiques. J’encourage vraiment la Ministre à leur envoyer ce signal pour susciter cette dynamique au sein des établissements.

Enfin, je rappelle que dans le cadre de la réforme des allocations d’études, la question du non-recours au droit est importante. Aller vers l’automaticité des allocations d’études représente un défi de taille, comme cela a été mis en exergue dans les différentes réactions et études publiées ces dernières semaines.