Mot d’introduction de M. Xavier Baeselen, secrétaire général du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. – “M. Rodrigue Demeuse, député de notre Assemblée et sénateur, exerce aussi la responsabilité de chef adjoint de la délégation belge à l’Assemblée parlementaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (AP-OTAN). Voilà un autre exemple de coopération interparlementaire. Monsieur Demeuse, vous avez été assistant à l’Université de Namur (UNamur) et avocat au barreau de Liège jusqu’à votre élection comme parlementaire en 2019. C’est donc au titre de votre expérience à l’AP-OTAN que vous intervenez.“
Je suis particulièrement heureux de présenter le travail de l’AP-OTAN, heureux que l’on s’y intéresse, ce qui n’est pas souvent le cas. Reconnaissons cependant que depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie voici plus d’un an, l’AP-OTAN a suscité un regain d’intérêt. J’ai la chance de siéger dans cette Assemblée comme vice-président de la délégation belge, à travers le Sénat. Cette délégation, composée de manière paritaire de sénateurs et de députés, comprend sept membres effectifs et sept membres suppléants.
L’AP-OTAN n’est pas l’OTAN, mais une Assemblée financée par les Parlements et donc indépendante de l’OTAN. Elle a été créée en 1955 et est composée de 269 parlementaires issus des 30 pays membres de l’OTAN. L’objectif de cette Assemblée est de créer un espace de dialogue et de discussions pour favoriser la paix, la démocratie et les échanges sur les enjeux de sécurité et de paix entre les pays membres de l’OTAN. Cet espace de dialogue est assez unique puisque c’est le seul endroit où des parlementaires des pays membres de l’OTAN peuvent se retrouver et se dire les choses de manière extrêmement franche.
On dialogue en effet avec des parlementaires de certains pays avec lesquels les relations sont très compliquées et tendues, comme la Turquie. Le régime de ce pays, de plus en plus autocratique, n’hésite pas à bombarder les zones kurdes en Syrie et a mis pendant des mois son veto à l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’OTAN. Lors de ces événements ces derniers mois, les discussions avec les parlementaires turcs au sein de l’AP-OTAN ont donc été extrêmement tendues et dures. Toutefois, la communication a été maintenue, car il était important d’avoir un dialogue. Comme le président l’a expliqué au début de ce colloque, il était aussi important d’entendre non seulement les discours officiels des autorités, mais aussi les parlementaires de l’opposition, qui sont représentés au sein de l’AP-OTAN, pour avoir cet autre son de cloche. C’est un premier élément propre à cette Assemblée parlementaire, qu’il me semble important de souligner.
Une autre spécificité de l’Assemblée est qu’elle ne se limite pas aux pays membres de l’OTAN. Nous nous sommes en effet ouverts à toute une série de pays amis issus de l’Europe, du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, invités à participer aux réunions de l’Assemblée dans le but de renforcer la démocratie, la coopération et les dialogues avec ces autres parlements.
Le meilleur exemple est évidemment l’Ukraine, qui est associée depuis 2012 aux travaux de l’AP-OTAN. Un groupe d’union interparlementaire Ukraine-OTAN s’est ainsi constitué, et s’est fortement renforcé dès 2014 avec l’invasion de la Crimée, puis depuis un an. Outre la publication de rapports et de résolutions, nous sommes allés plus loin en effectuant des missions sur le terrain, et surtout en créant, grâce à des moyens non utilisés pendant la crise sanitaire, un fonds de soutien à la Rada ukrainienne pour qu’elle se reconstruise et se redéploie après l’invasion russe.
L’Assemblée parlementaire fonctionne avec une Assemblée plénière, qui se réunit deux fois par an, et cinq commissions. Je suis membre de la commission de la démocratie et de la sécurité. J’en étais le vice-président jusqu’à il y a peu et j’en suis à présent le rapporteur général. Les parlementaires se regroupent par affinités politiques, les groupes étant les suivants: libéraux, socialistes, conservateurs et bientôt un groupe des verts, qui sera créé à mon initiative.
Nous adoptons des résolutions et des rapports, et rédigeons des amendements: la délégation belge est particulièrement active à cet égard. Par exemple, des amendements et des positions fortes sur l’indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, y compris pour l’uranium, ou sur le soutien au principe de non-prolifération nucléaire, qui ne sont pas des sujets faciles dans le contexte actuel. Je peux encore mentionner l’interdiction des armes explosives en zone civile, la traçabilité des armes livrées à l’Ukraine et la prise en compte des droits des femmes et des minorités dans les conflits. Voilà quelques-unes des victoires que nous avons pu obtenir, en faisant passer des amendements, parfois au prix de discussions compliquées avec les autres grandes puissances, dans les résolutions et les textes adoptés par l’AP-OTAN. Ces résolutions sont ensuite envoyées aux États membres et à l’OTAN même. L’AP-OTAN est indépendante de l’OTAN, mais exerce une influence concrète sur l’OTAN. Sa présidente est systématiquement présente à tous les sommets de l’Alliance atlantique et sa voix compte.
À chaque séance plénière de l’AP-OTAN, Jens Stoltenberg, le Secrétaire général de l’OTAN, se soumet durant deux heures à un exercice de questions-réponses à bâtons rompus avec les parlementaires. Nous rencontrons aussi systématiquement l’ambassadeur auprès de l’OTAN et les ambassadeurs lors de chacune des missions.
Preuve de l’influence concrète de l’Assemblée parlementaire sur l’OTAN, l’AP-OTAN a travaillé durant une année sur sa contribution au nouveau concept stratégique de l’Alliance atlantique, adopté en juin 2022 à Madrid. Ce concept reprend les grandes orientations de l’OTAN pour les dix prochaines années, et l’AP-OTAN a réussi à y intégrer certains sujets comme l’impact de la Chine sur le plan géostratégique, la lutte contre la désinformation, ou des thématiques plus originales comme le réchauffement climatique en termes d’enjeu sécuritaire. Autant de sujets qui se retrouvent maintenant dans le concept stratégique de l’OTAN et qui illustrent la plus-value de l’AP-OTAN.
Enfin, en tant que rapporteur général, j’ai la chance de travailler sur plusieurs rapports, dont un l’année dernière en lien avec la préservation de l’espace humanitaire dans les zones de conflit. Comment défendre les organisations humanitaires qui font un travail important dans les zones de conflit? Ce travail est aujourd’hui rendu de plus en plus difficile, en raison d’une série d’obstacles. Ces organisations sont aussi de plus en plus prises pour cible dans les zones de conflit. Or, leur travail est essentiel pour les civils, qui sont eux-mêmes de plus en plus ciblés dans les conflits actuels. Tout l’enjeu du rapport est de montrer les actions menées et d’exposer les recommandations possibles à l’égard des alliés et des pays membres concernant la formation des militaires, la préparation des opérations et les modifications légales nécessaires pour mieux protéger les organisations humanitaires dans l’accomplissement de leur travail.
Le rapport sur lequel je travaille cette année me tient particulièrement à cœur et est pleinement d’actualité. Il porte sur les moyens de lutte contre l’impunité des violations du droit international commises lors de l’invasion russe en Ukraine. Je suis convaincu que nous n’atteindrons pas une paix durable en Ukraine en l’absence de justice.
L’objectif est de rédiger un rapport exposant les possibilités légales pour punir les violations du droit international en Ukraine. Dans ce cadre, nous rencontrons actuellement de nombreuses personnes. Au Luxembourg, durant le prochain sommet de l’Assemblée parlementaire, nous recevrons Mme Oleksandra Matviïchuk, avocate ukrainienne spécialisée dans les droits humains et Prix Nobel de la paix. Ce rapport a aussi pour but de répertorier toutes les violations les plus graves commises en Ukraine, d’analyser les initiatives en cours et d’identifier les obstacles, à la fois politiques, juridiques et matériels, auxquels sont confrontées ces initiatives. Il s’agira ensuite d’établir des recommandations afin, par exemple, de créer un tribunal international chargé de poursuivre les violations du droit international et, par ce moyen, tenter d’apporter réparation aux victimes et à l’Ukraine par rapport aux crimes commis actuellement.
En conclusion, je suis convaincu de l’importance de ce type de forum, encore plus aujourd’hui eu égard au contexte actuel. Cela permettra de dépasser les clivages et les discours convenus. Cela nous permet aussi de mettre en perspective le travail parlementaire au quotidien et d’influencer les organisations internationales – l’OTAN, par exemple –, aussi à soutenir les démocraties au-delà des frontières de l’OTAN. En revanche, la condition est de mieux faire connaître le travail réalisé. C’est pourquoi je vous remercie pour votre invitation.