Affiner l’analyse pour mieux anticiper de futures fusions de communes

On a tous en tête les débats longs et compliqués qui ont émaillé l’unique fusion de commune décidée sous cette législature pour 2024 entre Bastogne et Bertogne. Bien que le cadre décrétal ait été revu et que des incitants financiers existent, la démarche n’a pas rencontré un franc succès.

C’est manifestement tout le contraire chez nos voisins flamands qui avaient déjà connu une première vague de fusions en 2019 pour passer de 308 à 300 communes et qui se préparent à un nouveau coup d’accélérateur à l’horizon 2025.

Ainsi, l’UVCW nous apprend que de nouvelles fusions sont actuellement à l’œuvre, devant conduire à un total de 285 communes flamandes après les élections de 2024, soit une réduction de 23 unités depuis le lancement de cette dynamique de rationalisation et de regroupement de services.

L’UVCW pointe notamment, mais pas exclusivement, les incitants financiers parmi les raisons de cet engouement.

D’où ces questions adressées au Ministre des Pouvoirs locaux, Christophe Collignon :

  • Avez-vous réalisé une analyse précise des raisons pour lesquelles les fusions volontaires de communes rencontrent un tel succès en Flandre et pas en Wallonie ?
  • Quelles en sont les conclusions ?
  • Sur cette base, quelles mesures complémentaires prenez-vous pour améliorer le dispositif en Wallonie et encourager davantage les communes wallonnes à se lancer ?

Réponse du Ministre :

“Comme vous le savez, un important travail législatif et réglementaire a été réalisé en Wallonie pour mettre en place le cadre de la fusion volontaire de communes. Je constate comme vous que, pour ce qui concerne la présente législature, la procédure a recueilli davantage de succès en Flandre. Il convient tout d’abord d’observer que le dispositif de la fusion volontaire a été mis en place plus tôt en Flandre, en 2017, tandis que le cadre décrétal wallon date de 2019 et a été ensuite complété en 2022. J’ajouterai que le choix de la fusion sur base volontaire a laissé une très large place à l’autonomie locale. Il n’est donc pas surprenant que le processus soit plus lent. Pour ce qui concerne les raisons précises du meilleur fonctionnement en Flandre, il y a l’élément temporel. Cela mériterait une étude plus fine, plutôt que des impressions, mais on peut se dire que le bonus financier mis en avant en Flandre – de mémoire, c’est une reprise globale des dettes en fonction des limites budgétaires du Gouvernement flamand – est un incitant plus prégnant que chez nous. Il faut être de bon compte : la sociologie est également différente. On fait plus des réformes dans la rupture en Flandre, tandis que l’on a une culture du consensus. Ce ne sont toutefois que des impressions, cela mériterait d’être affiné. Comme je l’ai déjà dit, d’un point de vue macro, tout le monde se dit que c’est bien de regrouper des entités. Cependant, quand on va dans le cas précis, on retrouve parfois l’une ou l’autre réticence, car il y a parfois l’une ou l’autre formation politique qui est plus intéressée à conserver l’un ou l’autre bastion. Sur le fractionnement de l’électorat en Flandre, je pense qu’il y a moins de partis dominants dans différentes majorités, ce qui facilite sans doute les rapprochements. Tout cela demanderait à être affiné par une étude universitaire, qui serait plus à même que moi d’avancer des pistes. Nonobstant cela, il faudra que, collectivement, nous prenions le temps de voir ce qui peut être amélioré dans le décret pour évoquer la prochaine échéance, qui ne sera pas 2024, mais 2030, pour nous donner le plus de chances de rentrer dans cette dynamique. Vous savez que, à l’inverse, je crois plus au processus de supracommunalité. C’était d’ailleurs inscrit dans la DPR : « Pour mieux assurer l’efficacité des services publics, le Gouvernement wallon incitera les villes et communes à développer des politiques supracommunales au niveau de chaque bassin de vie. Un encouragement financier spécifique sera octroyé aux projets supracommunaux ». C’est un des premiers dossiers que j’ai traités lorsque je suis entré en fonction. J’ai réalisé cet appel à projets selon une philosophie bottom-up, en faisant confiance au terrain pour mieux financer les expériences supracommunales. Près de trois ans après le lancement de l’appel à projets « Soutien aux structures supracommunales », dont le succès n’est plus à démontrer – 14 structures reconnues rassemblant plus de 92 % des communes wallonnes –, et après l’organisation d’un colloque sur le sujet, nous sommes en mesure de faire le point sur l’initiative et l’avenir de la supracommunalité en Wallonie. Dans mon esprit, les deux dossiers ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Cela peut être complémentaire.

À partir du moment où les villes et communes apprennent à travailler ensemble dans des processus supracommunaux, il n’est pas interdit de penser que l’on puisse franchir le pas dans le cadre de fusions volontaires. Les différentes interventions lors du colloque, qui s’est déroulé le 29 mars dernier, ont pu confirmer l’intérêt pour la démarche et l’importance de la maintenir et de la pérenniser. À la lumière de cette expérience pilote et de ces analyses, il apparaît clairement, selon moi, que, si l’on veut pérenniser le dispositif, il y a lieu de respecter les trois principes suivants :

  • il doit s’agir d’une dynamique bottom-up sur base volontaire ;
  • il est indispensable d’octroyer une place prépondérante aux bourgmestres des communes membres, parce qu’ils sont au cœur de la décision ;
  • la répartition des subventions devrait s’opérer via un droit de tirage – au prorata des chiffres de la population – et dans une programmation pluriannuelle parce que, si l’on ne donne pas de la prévisibilité à ces structures, il est difficile de pouvoir agir de manière concertée. Il y a d’autres initiatives en matière de supracommunalité. J’en veux pour preuve, notamment, le décret infrasport qui avait été porté à l’époque par M. Crucke. Ce décret prévoit des incitants en termes financiers à cette fin. Si je peux me permettre une suggestion : je pense que l’on devrait aussi réguler le passé. Pourquoi ne pas imaginer un cadre dans lequel des infrastructures servent à l’ensemble de la collectivité en étant situées sur un territoire ? Pourquoi ne pas imaginer un dispositif qui permettrait, dans une politique de bassins, de faire en sorte de mieux financer ces structures qui bénéficient à l’ensemble d’un bassin et pas uniquement aux habitants d’une seule commune ?

Je dois encore vous dire que, le 31 août dernier, le Gouvernement wallon a marqué son accord sur la prolongation du financement des structures supracommunales pour l’année 2024. Pour conclure, je suis convaincu que ces politiques, qui sont des regroupements entre les différentes forces vives d’un bassin de communes, sont aussi l’avenir des communes. Des politiques doivent être menées à l’échelle d’une commune et d’autres politiques doivent être menées à l’échelle d’un bassin. C’est une façon de mieux gérer les deniers publics, d’être plus efficaces et plus efficients.”

Réplique :

Je remercie M. le Ministre pour sa longue réponse. Effectivement, il y a une explication temporelle, très certainement, même si je note tout de même que, déjà en 2019, en Flandre, huit fusions s’étaient opérées. Le Ministre a raison de dire que cela mériterait une analyse plus fine. Je ne peux que l’encourager à peut-être initier cette analyse et ce comparatif scientifique universitaire pour, dès à présent, préparer la modification du cadre en vue des futures fusions de 2030.

J’ai un peu fait le comparatif entre les incitants financiers en Flandre et en Wallonie. On voit notamment que ce qui peut être repris en termes de charge de la dette, par exemple, en Flandre, peut monter jusqu’à 50 millions d’euros, tandis que l’on sait que, ici en Wallonie, c’est 20 millions d’euros. Et puis, il y a aussi des éléments qui font que, en Flandre, on encourage principalement les fusions au-delà de 20 000 habitants tandis que, en Wallonie, on commence plus bas. Il y a une série d’éléments comme ceux-là qui sont intéressants, qui sont à comparer et qui mériteraient cette analyse plus fine. On doit s’y préparer dès maintenant pour ne pas arriver en fin de législature et perdre encore une échéance.

Sur la supracommunalité, je partage une partie de l’analyse dans le sens où cela doit être un outil complémentaire et une façon d’avancer vers l’encouragement des communes à travailler ensemble et peut-être à fusionner un jour, mais avec le point d’attention qui est de ne pas rajouter encore des couches à la lasagne – ce qui est fondamental – et en insistant sur les garanties démocratiques qui sont importantes. Quand j’entends que l’on doit donner une place prépondérante aux bourgmestres, par exemple, dans ce genre de structure, sans doute doivent-ils évidemment avoir un mot à dire, mais attention tout de même à la garantie de représentativité de l’ensemble des forces démocratiques.