J’ai récemment été interpellé par le cas d’une étudiante en médecine et jeune maman. Son parcours est particulièrement poignant et témoigne de sa grande combativité et de son impressionnante résilience face aux nombreuses épreuves qu’elle traverse, encore aujourd’hui, pour faire reconnaître ce que la plupart d’entre nous considèrent être des droits.
Je ne détaillerai pas son cas particulier ici, mais très sincèrement, c’est à se demander si le secteur de l’enseignement supérieur ne fait pas parfois société à part…
Cette étudiante se retrouve désormais à devoir faire un recours pour poursuivre ses études car elle se retrouve non-finançable en raison d’un non-recours à ses droits, comme un vrai congé de maternité par exemple. Celui-ci n’est en fait pas reconnu pour les étudiants jeunes parents et c’est un réel problème.
Leur situation dépend donc du bon-vouloir d’un jury pour tout ce qui concerne les aménagements des plages horaires, des travaux pratiques, des stages et des sessions d’examens, etc.
Il est donc presque impossible de vivre ces premiers mois si essentiels au bien-être des parents (singulièrement de la maman, souvent isolée d’ailleurs) et du nouveau-né. Les étudiants dans ces situations seraient uniquement couverts par un certificat médical, leur unique protection, quand ils en font la demande, ou osent la faire.
Sauf erreur, le cas de ces étudiants rentre ainsi dans la catégorie des étudiants à besoins spécifiques. Mais cela se discute au cas par cas et cela concerne essentiellement les sessions d’examens et la replanification des séances de TP en fonction des rendez-vous médicaux. Il n’existe dès lors pas de procédure particulière concernant la finançabilité, pas de congé de parentalité automatique, mais uniquement des demandes de dérogation analysées au cas par cas par les établissements, sans réel recours possible.
Et dans certains cas, les établissements refusent même tout aménagement. C’est le cas d’une autre étudiante qui m’a fait parvenir son témoignage, dont je me permets de vous lire un extrait tellement il m’a choqué :
« J’ai accouché le 24 mai 2022, l’accouchement à terme était prévu le 1er juin avec des examens le 10, le 16 et le 17 juin. Je n’ai pas eu droit à des congés de maternité, je n’ai rien eu du tout. Les premiers mois de la naissance de ma fille, je me suis sentie extrêmement mal, à peine rentrée de la maternité je devais étudier pour mes examens, assumer mon mémoire, je devais absolument tout faire comme une personne qui ne venait pas d’accoucher. Ca m’a énormément compliqué la vie, psychologiquement parlant je me sentais vraiment mal, je culpabilisais envers ma fille parce que je me disais que je ne pouvais pas profiter d’elle, que je ne pouvais pas me reposer, quand elle dormait il fallait que j’étudie. Je n’ai clairement pas eu de congé maternité. Ce que je trouve un peu dégueulasse de la Belgique et des institutions, parce que tu as beau avoir accouché, je répète ce qu’on m’a dit “un accouchement n’est pas un cas de force majeure pour un report d’examens”. L’université ne propose rien ! Que ce soit un report d’examen, un allègement, un report du mémoire ».
Ces témoignages sont terribles…
D’où ces questions à la Ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny :
- Quel regard portez-vous sur la situation des étudiantes enceintes et des jeunes parents dans l’enseignement supérieur ?
- Le public étudiant se diversifie de plus en plus, avez-vous dès lors une idée du nombre d’étudiants concernés par la parentalité ?
- Quelles initiatives avez-vous prises afin de créer un véritable statut de l’étudiante enceinte et de jeune parent ?
- Une des demandes de la résolution de lutte contre la précarité étudiante recommandait d’instaurer un statut spécifique pour les étudiantes enceintes et les jeunes parents : où en est la mise en œuvre de cette recommandation ?
Réponse de la Ministre :
“L’augmentation de la diversité de la population étudiante, l’allongement des études ainsi que la reprise d’études pour des publics plus âgés avec des formations à horaires décalés ou des formations continues, sans oublier nos chercheuses doctorantes, amènent à constater de manière un peu moins rare que précédemment que certains étudiants sont ou deviennent parents durant leurs études supérieures.
Pouvoir organiser l’année universitaire avec une plus grande souplesse est l’un des souhaits essentiels de ces étudiantes enceintes ou de ces étudiantes et étudiants jeunes parents, afin de pouvoir faire face à l’ensemble de leurs obligations. À cet égard, il est très important de rappeler que le décret du 7 novembre 2013 définissant le paysage de l’enseignement supérieur et l’organisation académique des études (décret «Paysage») prévoit des possibilités d’allègement à l’article 151, alinéa 2, ce qui permet de rencontrer une série de leurs préoccupations: on ne peut donc que leur conseiller de se tourner vers leur établissement.
Par ailleurs, l’opportunité d’aménagements spécifiques au cas par cas peut toujours faire l’objet d’une décision des autorités académiques: des aménagements de session, une session ouverte, des aménagements spécifiques en concertation avec la faculté concernée, une information et une aide par rapport aux démarches – y compris sociales – à effectuer, sont ainsi toujours possibles.
Certains établissements d’enseignement supérieur disposent également de crèches où des étudiantes, à l’instar des membres du personnel, peuvent déposer leurs enfants pendant la journée. Dans la plupart des situations, elles sont prioritaires.
En outre, l’Université de Mons (UMONS) et l’Université libre de Bruxelles (ULB) ont introduit en 2021 une procédure simplifiée spécifique pour les étudiantes enceintes et les étudiants jeunes parents. Cette procédure permet à ceux-ci de bénéficier de mesures déjà évoquées en matière d’allègement, ou encore, sur la base de demandes dûment motivées examinées par les doyens des facultés concernées – ou les enseignants selon les cas –, de mesures d’aménagement en matière de présence aux activités d’apprentissage, de dates pour les évaluations, ou encore d’échéance pour la remise de divers travaux.
Finalement, il faut mentionner que la réflexion sur cette problématique évolue et est bien présente dans la politique d’inclusion sociale de nombreux établissements.
La prise en charge et l’accompagnement se font essentiellement au cas par cas, ce qui permet de faire du sur-mesure, de mieux tenir compte des spécificités de chacun et, en fonction des situations, d’intervenir par le biais d’aides financières, d’un accompagnement administratif ou d’aménagements académiques – autant d’options déjà largement utilisées dans ce type de situations.
Votre question m’aura permis de faire la lumière sur les différentes possibilités qui existent déjà actuellement pour permettre à ces étudiantes et étudiants de combiner au mieux leurs études et leur situation familiale.”
La Ministre rappelle avec raison que certains établissements ont pris des mesures qu’il faut saluer. Elle rappelle aussi ce qui existe déjà. Toutefois, si des aménagements sont possibles au cas par cas, la situation actuelle ne suffit pas. Nous ne pouvons pas nous en contenter.
En pratique, les assistants sociaux ne sont pas toujours au courant. Les étudiants eux-mêmes ne connaissent pas les possibilités offertes ou n’osent pas y faire appel. Certains établissements refusent aussi des aménagements. Les quelques témoignages que j’ai recueillis montrent clairement que les aides demandées ont été refusées. C’est dramatique.
D’après une étudiante qui avait prévenu tous ses professeurs, il a été difficile de trouver des modalités d’adaptation avec eux. C’est un peu “marche ou crève ; soit tu passes tes examens comme les autres, soit en deuxième session”. Ces situations se déroulent aujourd’hui, ce n’est pas acceptable et on ne peut pas simplement compter sur l’éventuelle bonne volonté des établissements. Ces situations ruinent des vies, à la fois des mamans et des enfants. Il faut absolument réfléchir à la création d’un statut pour les étudiantes enceintes et les jeunes parents qui soit commun à l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Nous devons garantir une réelle égalité de traitement à l’ensemble des étudiantes et des étudiants concernés, vu l’ampleur du phénomène et la diversité des profils dans notre enseignement supérieur.