Retour sur une mission pas comme les autres pour l’OTAN à Madrid

J’ai eu l’immense honneur d’être le premier belge à présider la Commission sur la démocratie et la sécurité de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, qui se tenait à Madrid et où je représentais le Sénat pour la Belgique.

Et me voilà désormais désigné comme Rapporteur général pour travailler sur la façon de poursuivre en justice les crimes de guerre commis en Ukraine. Et puis surtout, j’ai défendu un rapport sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur : « Agir pour préserver l’espace humanitaire ! »

Au delà du rapport, de la présidence, du rapporteur général et du rapport, j’ai aussi, avec la délégation belge amendé les résolutions votées. Avec tous les amendements acceptés pour : se désengager des énergies fossiles, pour un cyberespace libre ouvert et pacifique, pour intégrer l’impact de la guerre en Ukraine sur les pays en voie de développement et l’impact humanitaire, sur la traçabilité de l’armement envoyé en Ukraine…

Le texte de mon intervention en Commission sur la démocratie et la sécurité :

Chers collègues,

J’ai donc l’honneur de vous présenter ce projet de rapport final, sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur et qui m’apparaît plus que jamais d’actualité.

Les atrocités et les crimes commis en Ukraine depuis le 24 février dernier et le début de la nouvelle invasion russe nous rappellent inlassablement, si cela était nécessaire, la souffrance immense à laquelle sont confrontés les hommes, femmes et enfants emportés par le tourbillon de la guerre.

Frustré par la résilience et la détermination dont fait preuve le peuple ukrainien dans la défense de son indépendance et de son identité, le Kremlin prend de plus en plus les civils pour cibles.

En n’hésitant pas à recourir à cette violence illégitime et souvent gratuite, il a provoqué une crise humanitaire aux proportions effroyables. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, fin octobre, plus de sept millions et demi de personnes ont dû fuir hors des frontières, tandis que 17.7 millions avaient besoin d’une aide humanitaire à travers le pays. Ces chiffres risquent malheureusement d’augmenter encore en raison de la campagne cynique et injustifiable de bombardements systématiques menée actuellement par la Russie contre les infrastructures critiques ukrainiennes.

On l’a encore vu cette semaine : alors que la Russie est contrainte de battre en retraite de plusieurs villes sous la pression des forces ukrainiennes, elle bombarde les civiles et les infrastructures à Kiev.

Les organisations humanitaires jouent un rôle essentiel dans la réponse à ces besoins. Depuis le 24 février, elles ont apporté une assistance et une protection à plus de 13 millions de personnes. Alors que l’hiver approche, elles continuent d’ailleurs d’intensifier leur soutien aux civils en difficulté.

Il est indispensable que ces acteurs humanitaires puissent venir en aide aux plus démunis librement et sans risque.

Et je veux d’emblée insister sur un point fondamental : le droit international oblige les parties à un conflit à garantir aux organisations humanitaires l’accès aux populations civiles et à ne pas entraver la fourniture d’une aide humanitaire neutre et impartiale. Car même dans la guerre, il y a des règles.

Et pourtant, chaque jour, les personnels humanitaires sont confrontés en Ukraine à une situation imprévisible et dangereuse. Trop souvent, ils se retrouvent forcés de mettre leur vie en danger afin de sauver celles des autres.

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Ce double constat affligeant d’une augmentation des besoins en aide et d’un rétrécissement de l’espace humanitaire se retrouve aujourd’hui partout où la violence fait rage à travers le monde.

Et ce, alors qu’il n’y a jamais eu autant de zones de conflits sur la planète et que ceux-ci se complexifient, entre autres dans la forme qu’ils prennent, avec des acteurs différents tels que des milices, des organisations criminelles et des groupes terroristes.

Différentes formes de violences perpétrées contre les populations civiles sont ainsi en hausse dans les conflits contemporains, notamment intraétatiques. C’est particulièrement le cas des violences sexuelles à l’encontre des femmes, des déplacements forcés, des brutalités envers les enfants, de l’utilisation de la torture et de la destruction d’infrastructures critiques.

Combinées aux effets néfastes du changement climatique, à la crise alimentaire mondiale actuelle et à l’impact persistant de la pandémie de Covid-19, ces violences entrainent en effet une augmentation alarmante des besoins humanitaires mondiaux. Selon une estimation des Nations unies de novembre 2021, 274 millions de personnes devaient nécessiter une aide humanitaire en 2022. Cela représentait déjà, de loin, le chiffre le plus élevé depuis des décennies. Or, il est inévitable que cette estimation doive désormais être revue à la hausse en raison de l’impact humanitaire de la nouvelle invasion russe de l’Ukraine intervenue depuis.

Et pourtant, malgré ces besoins en augmentation, les travailleurs humanitaires sont de plus en plus la cible d’attaques inacceptables. Selon une base de données recensant ces violences, 136 travailleurs humanitaires ont été tués dans le monde en 2021, soit deux fois plus qu’il y a dix ans. De nombreux autres ont été blessés, enlevés, intimidés, harcelés, agressés et détenus. Selon les Nations unies, ces attaques sont les plus fréquentes dans des pays en proie à des violences et où de larges populations civiles nécessitent une aide d’urgence, comme la Syrie, la Libye, le Mali, le Nigeria, l’Afghanistan, la République centrafricaine, la République du Congo, la Somalie et le Yémen.

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D’autres facteurs contribuent au rétrécissement actuel de l’espace humanitaire. Bien que nécessaires, les mesures antiterroristes et les régimes de sanctions peuvent parfois involontairement restreindre l’accès des acteurs humanitaires aux civils dans le besoin.

Par exemple, l’absence de prise en compte de la spécificité des organisations humanitaires dans les législations nationales et sanctions internationales constituent un obstacle à leur financement.

Plus grave encore, certains pays interdisent et criminalisent les activités humanitaires dans des zones contrôlées par des groupes armés non-étatiques considérés comme terroristes, au détriment des populations civiles qui y vivent. Puisque cela empêche les organisation de ce rendre dans ces zones, sous peine d’être elles-mêmes considérées comme terroristes, alors qu’elles essaient juste d’aider les civils victimes.

Les acteurs humanitaires font aussi face à des pressions gouvernementales et de multiples obstacles administratifs visant à orienter le choix des bénéficiaires de l’aide qu’ils apportent et à les contraindre à ne pas négocier avec d’autres parties à un conflit, en complète contradiction avec le droit international.

Ces entraves remettent en cause les principes de neutralité, d’impartialité et d’indépendance sur lesquels se fonde l’action humanitaire. Pourtant, le respect de ces principes est essentiel afin de garantir l’acceptation et la sécurité des humanitaires, et donc la capacité des organisations à venir en aide aux populations en détresse. Les humanitaires sont ainsi confrontés à un cercle vicieux dans lequel les obstacles à leur action se renforcent mutuellement.

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Néanmoins, nous ne pouvons pas nous résoudre à ce que le rétrécissement graduel de l’espace humanitaire soit une fatalité. Les Etats alliés et leurs partenaires ont pris conscience ces dernières années de la nécessité de lutter pour la préservation de l’espace humanitaire.

A l’échelle nationale, ils ont renforcé l’intégration des considérations humanitaires et de l’importance des relations entre populations civiles et militaires dans la formation de leurs forces armées ainsi que dans la planification de leurs opérations. Ils apportent également un soutien financier crucial aux organisations internationales et non-gouvernementales humanitaires. Enfin, ils portent avec vigueur la problématique de la protection de l’espace humanitaire au sein des forums multilatéraux.

Des avancées sont également à signaler au niveau de l’OTAN. Le nouveau Concept stratégique, adopté par les Chefs d’Etat et de gouvernement en juin ici même à Madrid, reconnaît à juste titre l’ampleur et la gravité des défis humanitaires ainsi que leur impact sur la sécurité mondiale, et donc aussi sur celle de l’Alliance. En réponse, les Alliés y réaffirment la centralité de la sécurité humaine, y compris la protection des civils, dans leur approche de la prévention et de la gestion des crises.

L’OTAN a d’ailleurs de longue date intégré les considérations humanitaires et la protection des civils dans sa doctrine, ses exercices et ses formations. Elle s’est aussi engagée dans un dialogue régulier sur ces questions avec plusieurs organisations participant à l’aide humanitaire, dont le Comité international de la Croix-Rouge, l’Union européenne et les Nations unies.

Toute une série d’exemples quant au rôle plus ou moins actif, et d’ailleurs débattu, de l’OTAN sont évoqués dans le rapport.

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Cette prise de conscience croissante aux niveaux national et de l’OTAN de la nécessité de protéger l’espace humanitaire est à saluer. Néanmoins, les besoins en aide sont aujourd’hui si considérables et les obstacles auxquels font face ceux qui y répondent si colossaux que les Alliés et l’OTAN doivent aller plus loin dans leurs efforts.

Le projet de rapport que j’ai le plaisir de vous présenter offre plusieurs pistes de réflexion et recommandations à ce sujet.

Premièrement, les doctrines et pratiques militaires alliées doivent accorder une place plus centrale à la protection de l’espace humanitaire. La promotion du droit international, la protection des civils et le renforcement de la sécurité humaine doivent y être pleinement intégrés, en ce compris dans la planification des opérations. Une plus grande prise en compte de ces problématiques dans les exercices et les formations permettrait par ailleurs de renforcer leur opérationnalisation concrète.

Deuxièmement, il est nécessaire de consolider les cadres juridiques nationaux et internationaux afin de renforcer le respect du droit international et d’améliorer la protection des acteurs humanitaires. Les Alliés doivent mieux prendre en compte le rôle unique et indispensable des acteurs humanitaires et continuer à lutter contre l’impunité des auteurs de violences à leur encontre et à promouvoir le respect universel du droit international, notamment humanitaire.

Troisièmement, les pays alliés doivent œuvrer à l’élimination des obstacles qui limitent la capacité des acteurs humanitaires à remplir leurs missions. Le financement de l’action humanitaire doit se conformer aux principes de neutralité et d’impartialité qui en forment le socle. Il ne saurait en aucun cas être lié à des contraintes concernant ses bénéficiaires. Par ailleurs, les Etats alliés doivent user de leur influence afin de renforcer le respect du droit international, et notamment de l’impératif d’autoriser et de faciliter l’accès en toute sécurité des acteurs humanitaires aux civils dans le besoin, auprès des parties aux conflits actuels.

Le respect du droit international n’est en effet pas un choix mais bien une obligation !

Enfin, les Alliés doivent développer leur coopération entre eux et avec leurs partenaires concernant la préservation de l’espace humanitaire. Autant aux niveaux bilatéral, de l’OTAN que mondial, il conviendrait de renforcer l’échange de bonnes pratiques dans ce domaine. Par ailleurs, des cadres nouveaux de collaboration doivent être établis avec les organisations humanitaires elles-mêmes. Les Alliés devraient aussi accroitre leur soutien logistique et financier aux organisations humanitaires nationales et internationales. Ce soutien doit néanmoins être accompagné de la mise en place de processus de suivi et d’évaluation continus, exigeants et transparents afin de garantir l’efficacité et la probité des organisations qui en bénéficient.

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Chers collègues,

De nombreux pays sont aujourd’hui déchirés par les conflits, et les crises humanitaires se multiplient. La nouvelle invasion russe de l’Ukraine est marquée par un déferlement de violence dont la population ukrainienne est la principale cible et victime. Cette vague d’atrocités et de brutalité est venue s’ajouter à ce qui pouvait déjà être décrit comme un tsunami de souffrances frappant des millions de civils à travers le monde.

Car, il faut le rappeler, derrière la problématique parfois quelque peu opaque et technique du rétrécissement de l’espace humanitaire se cachent des femmes, des hommes et des enfants dont la survie dépend directement de l’aide que leur apportent les travailleurs humanitaires, et ce au péril de leur vie. Défendre la capacité des acteurs humanitaires à mener à bien leur mission vitale est donc un impératif moral pour nos sociétés démocratiques fondées sur le respect et la promotion des droits humains.

Mais c’est aussi un impératif sécuritaire. En effet, là où les organisations humanitaires ne peuvent intervenir, les besoins des populations civiles restent sans réponse et l’instabilité persiste et se renforce. Cette instabilité fragilise la situation des pays concernés. Et, dans notre monde globalisé, elle affecte par ricochet la sécurité des pays alliés.

Ce double impératif moral et sécuritaire nous impose de faire tout notre possible pour préserver l’espace humanitaire, autant aux niveaux national et otanien qu’international. En tant que parlementaires, nous pouvons, et devons, aussi porter cette problématique et la faire avancer. J’espère que ce projet de rapport contribuera à ces efforts.

A cet égard, et avant de conclure, je voudrais remercier et saluer très chaleureusement notre ancienne collègue, Anissa Khedher, à qui cette problématique tenait fortement à cœur. Elle a travaillé avec ferveur et enthousiasme à l’élaboration de ce rapport jusqu’à son départ de l’Assemblée en juin dernier. Et cela aura été un honneur pour moi de poursuivre son travail en tant que rapporteur par intérim.

Je tiens également à remercie du fond du cœur les services de l’AP-OTAN pour l’incroyable travail réalisé dans la confection de ce rapport, et dans la transition entre Anissa et moi-même qui s’est parfaitement déroulée, en particulier grâce à notre cher directeur de commission, Nathan.

Je vous remercie !